samedi 27 septembre 2008
A quoi reconnait-on à coup sur un Anjouanais?
Il parait qu’on peut reconnaître un Anjouanais de loin. Il existe des signes distinctifs qui ne trompent pas. Je le sais parce que c’est une de mes élèves qui me l’a dit ce matin. Et ça doit être vrai puisqu’elle le tient de ses collègues enseignants. Je donne deux fois par semaine des cours de dessin et de peinture, et une de mes élèves du samedi matin est enseignante de quelque chose dans un lycée professionnel du centre de l’île et la pôvre vient tout juste d’arriver de métropole. Toujours prêts à rendre service, ses collègues l’ont donc briffée. Des vieux routards, ses collègues, à qui on ne la fait pas, qui connaissent l’envers du décor, le dessous des cartes, ce qu’on ne nous dit pas, auxquels on ne fera pas prendre des vessies pour des lanternes et faut quand même pas les prendre pour des cons. Des enseignants donc. Capables en outre de réciter par cœur, et à l’envers les trois catalogues principaux de la Redoute, des 3 Suisses et de la Camif. ( ce dernier un peu plus cher que les deux autres, mais question qualité on s’y retrouve) Déjà la semaine dernière ma cliente m’avait demandé si c’était vrai qu’il valait mieux ne pas sortir de chez soi le soir tombé ; même dans son village de Trevani; si c’était vrai qu’il ne fallait jamais, et sous aucun prétexte, même sous pluie torrentielle, laisser rentrer dans la maison le petit vendeur de légumes, primo parce que ça ne pouvait être qu’un Anjouanais, donc un clandestin, et deuzio parce qu’en une fraction de seconde il aurait fait le tour des portes et fenêtres, vous pouvez leur faire confiance, ils ont l’habitude, et dans la semaine qui suivait, bingo, vous étiez sûr d’ être cambriolé, ça faisait pas un pli.
Mais heureusement on peut reconnaître les Anjouanais, c’est du moins ce qui se dit dans les salles des profs. D’abord l’Anjouanais est moins gros que le Mahorais. Normal, il ne mange pas toujours à sa faim, et contrairement au Mahorais, travailleur au Conseil Général, plus aisé, il n’a pas souvent les moyens de s’offrir des produits qui font grossir, comme le fromage le champagne et les chocolats fins. Il est moins gros mais il est très musclé, et là aussi c’est normal puisqu’il et habitué à travailler dans les champs. Ce qui donne des muscles, comme chacun sait. Il n’y a qu’à voir les abdominaux de nos Beaucerons ou de nos Picards ; tous musclés comme des Anjouanais. Notre Anjouanais est donc pas épais et musclé, ce qui déjà facilite grandement les recherches. Il vaut mieux, cela va sans dire, éviter de se trouver face à face avec un Anjouanais, mais parfois on ne peut pas faire autrement et on remarquera alors que l’Anjouanais a une arcade sourcilière très développée, presque proéminente, au point que c’en est parfois un peu gênant. Esthétiquement indéfendable mais on n'en n'est pas toujours conscient parce que, comme tous les humanistes, on n’est pas habitué à remarquer ce qui est laid chez les autres. On s’attendrait à ce qu’ils aient le nez crochu mais non, leur nez est normal, juste épaté comme celui de tous les nègres, mais normal; leurs arcades sourcilières par contre, oh là là ! Faites y attention la prochaine fois que vous en verrez un. Ce qui devient difficile parce qu’ils n’osent plus dire qu’ils viennent de Anjouan.
Et un dernier signe enfin, qui fait qu’on les remarque quand ils se déplacent, ils se retournent souvent pour voir si on les suit. T’en vois un qui se retourne tous les cinq ou six pas, s’il a des arcades sourcilières épaisses tu peux l’embarquer tout de suite ; à tous les coups c’est un Anjouanais.
Conclusions : 1 l’Histoire n’apprend rien à personne et les conneries passées n’arrêtent aucune des conneries à venir. A quand le croissant jaune ?
2 Etonnant tout de même que ce genre de propos soit émis et véhiculé dans des salles de profs plutôt que dans des corps de garde. Etonnant et décevant. Les profs doivent être très déçus pour être aussi amers. On est toujours responsables de nos déceptions. Si je suis déçu c'est aussi que je me suis trompé. Ce qui en dit long sur la vraie valeur de la culture que nous répandons et dont nous sommes fiers. Malraux a tort; "la culture n'est pas ce qui reste quand on a tout oublié" phrase kitsch de pompeux vantard; il en était coutumier. La culture, c'est ce qui reste une fois qu'elle a été confrontée à celle de l'autre. Pas de quoi être optimiste.
Le tableau en en-tête est un portrait d’un joueur de foot qui se fait appeler Zidane; excellent en défense, parfois surprenant en attaque, il surveille toujours ses arrières, ce qu'on ne lui reprochera pas. Il joue à Mayotte sous un faux nom parce qu’il est anjouanais. Avec des arcades comme ça on s'en serait douté.
samedi 20 septembre 2008
clin d'oeil
jeudi 18 septembre 2008
conférence de presse
Conférence de presse aujourd’hui au Caribou, hôtel central local, point d’eau des gens qui consomment avec notes de frais, stalles inconfortables et sièges trop hauts. Rien à voir avec le Stanley de Nairobi ou le Raffles de Singapour. Mayotte est loin des zones de passage des grands fauves et les seules chasses qu’on y organise sont celles de la gazelle malgache ou du petit requin blanc. La conférence de presse avait lieu près de la piscine ; on y est mieux qu’ailleurs ; il y a de la lumière et les chaises sont faites pour s’asseoir. Un producteur de programme de télévision présentait sa grille pour les trois prochains mois. A ses côtés, son patron, pas un rigolo à première vue, et ses partenaires, c'est-à-dire ceux qui payent son programme. La laiterie de Mayotte, propriété d’une société réunionnaise, et SFR, société réunionnaise également. A eux seuls ces deux sponsors réunionnais financent plus de la moitié d’une émission qui s’appelle : » 100% Mayotte » Chercher l’erreur. Le Conseil Général, 100% mahorais comme il se doit, sponsorise à hauteur de 2%, ce qui n’est pas rien, et j’aimerais bien savoir quelle forme ils ont ces 2% ; son représentant était là, reconnaissable à son parler compassé, ses lunettes à fine monture et à sa chemise blanche hyper impeccable. Et il y avait les journalistes puisque c’était une conférence de presse. Presque que des femmes et presque toujours agréables à regarder, à croire que la profession, comme l’enseignement ou la magistrature se féminise à tour de bras, à moins qu’on ne réserve aux hommes les sujets plus musclés. Il y avait là Le Mahorais, racoleur, Les Nouvelles de Mayotte, racoleur ET sinistre, Télé Banga, eh oui ! et ses petits potins mondains, et deux ou trois revues chic et branchées. Et RFO bien sur, qui s’était déplacée pour écouter RFO. Encadré par ses sponsors, surveillé par son chef, Patrick Millan a fait son travail très correctement devant un parterre de journalistes aussi aimables que discrets. Pas une question ne fut posée. Pour demander quoi ? Un homme de télévision parle à des journalistes, juste avant qu’on ne leur offre boissons et petits fours, on est sous les tropiques, sur une île, exiguë qui plus est, on se reverra tous demain, ce soir peut-être, alors laissons la place aux mondanités de province.
Ce que je faisais là ? J’y surveillais mes vaches, accrochées là pour l'occasion, acquisitions toutes récentes de la laiterie de Mayotte, sponsor de 100% Mayotte ET du peintre Marcel, et j’attendais qu’il en fut dit un mot, par Patrick Millan ou par mon bienfaiteur, ce qu’ils ont fait, le plus gentiment du monde mais au journal de ce soir RFO n’en n’a pas fait le moindre cas, ce qui ne m’étonne pas d’eux. J’y ai aussi appris que je ne suis pas aimé du tout par un journaliste. On ne m’a pas dit qui mais je crois savoir qu’il s’agit d’une journaliste ; une grosse pointure. C’est bien ; la gloire arrive.
lundi 15 septembre 2008
Une vache verte qui courait dans l'herbe...
J’avais pourtant dit que je ne ferais plus de vaches ! Eh bien non ; il m’a fallu en faire deux autres. Je vous présente tout d’abord Pâquerettes. Ce n’est pas un nom de zébu mais toutes ces vaches m’ont ramené dans les territoires de mon enfance, là où vaches chevaux et moutons paissaient dans des champs remplis de mousserons de pissenlits et de pâquerettes. J’ai rencontré cette zébue là au rond point du baobab. Elle avait brouté rue des cent villas et descendait faire sa sieste et ruminer devant le Crédit Agricole. A force de fréquenter les beaux quartiers elle avait acquis des manières et c’est à elle que j’ai confié le soin d’incarner mes nostalgies d’enfance à la campagne.
Il était neuf heures du soir, il y a quelques jours, et je venais juste de nettoyer mes pinceaux. La journée était finie. Je tournais encore un peu dans l’atelier à la recherche du travail qui allait m’occuper le lendemain. Portrait ? paysage ? scène de vie ? démarrage ? finition ? Aucune idée ; on verrait demain. Quelques pages de lecture, Marianne ou le Canard enchaîné, et au lit. Je regardais mes vaches une dernière fois ; avec Pâquerettes ça faisait onze. C’est bizarre « onze ». Dix ça va, douze ça va aussi mais onze a quelque chose en trop ou quelque chose en moins. Je n’avais pourtant pas envie de faire une autre vache. Et c’est venu d’un seul coup ; je n’avais pas de vache verte ! Une mauve à mufle jaune, une bleue, une presque blanche, une sur fond flamboyant, une autre sur fond rose, mais je n’avais pas de vache verte et il m’apparut indispensable, quasiment vital de faire une douzième vache et que celle-ci fut verte. A dix heures le dessin était calé, à onze heures trente la première couche acrylique était posée et ma vache verte fut terminée le lendemain. Ma tâche était accomplie ; je pouvais me reposer.
Les wazungu qui passent de temps à autre à l’atelier aiment mes vaches de couleur ; la verte en particulier déclenche des « oh ! » et des « ah ! ».
Les Mahorais qui passent de temps à autre à mon atelier aiment les vaches qui ressemblent à des vaches et leur préférée est l’aristocratique zébue, ce que je trouve intéressant.
Les vaches que j’ai peintes sont des vaches d’ici ; les cornes l’attestent. Traitées normalement (sans couleurs psychédéliques), ces vaches sont perçues comme des vaches de Mayotte, zébue comprise. Beaucoup de mes visiteurs mahorais et anjouanais aiment la vache à tête vacharde mais tous préfèrent la zébue, représentante d’une race en voie de disparition par métissage. Cette zébue là était la seule de sa race sur tout le plateau de Combani. Combien en reste-t-il dans l’île ? Je l’ignore. Combien y en avait-il il y a seulement dix ans ? Sans doute beaucoup plus. Combien en restera-t-il dans dix ans ? Les Mahorais aiment donc entre toutes les vaches la représentation d’une vache qui est en train de disparaître. Curieux…
Je n’ai jusqu’à ce jour jamais trouvé que les Mahorais fussent amoureux du passé. Moi qui ai tendance à peindre ce qui va disparaître je n’ai jamais constaté d’amour particulier pour leurs vieux bangas ni pour leur souvenir. Ils ne sont pas très « musées » par ici et ce sont les Blancs qui sont obsédés par la conservation des écrits, des images, des pierres, des morceaux de poterie ou des vieux bouts de tissus. Comment donc se fait-il que mes visiteurs indigènes aiment tous ma zébue ? Est-elle mieux faite que les autres ? Je ne le pense pas. Trouve-t-ils les zébues plus belles que les montbéliardes ? Sont-ils sensibles à sa raréfaction ? Leur plaisir en d’autres termes est-il d’ordre esthétique ou sentimental ?
Il faudrait d’autres visiteurs pour en savoir plus, et un observateur impartial qui note les résultats. Un bon job pour un futur étudiant en histoire de l’art ou même simplement en sociologie.
Je répète les questions :
- Les Mahorais, dans leur grande majorité, préfèrent-ils une vache de race zébue à une vache métissée. ?
- Si la réponse est oui, qu’est-ce qu’ils lui trouvent de mieux que les autres ?
dimanche 7 septembre 2008
Ramadan
Ramadan
C’est la saison. Tout le monde se précipite pour rentrer chez soi avant 18h 30, fin officielle du jour, lorsque le muezzin ou le haut parleur qui le remplace appellent à la prière après laquelle le jeune sera rompu. Beaucoup de mahorais ont jeûné et beaucoup ont bu ou fumé en douce mais rien sur les routes de Mayotte, à 18 h ne distingue le vrai croyant du vrai faussaire. Tous conduisent comme des malades, encore plus que d’habitude, pressés qu’ils sont de rentrer chez eux où les attend le dîner, meilleur qu’à l’ordinaire, préparé par l’épouse restée à la maison. Et si l’épouse travaille ? La mère ou la sœur ou la cousine ou l’anjouanaise auront préparé le dîner festif composé de toutes sortes de choses, riz, manioc, fruit à pain, viande, poisson, volaille, samossas ; rien à voir avec le dîner habituel composé d’un plat de viande ou de poisson accompagné de riz. Les rues de Mamoudzou, congestionnées à cette heure là, sont presque vides et les seules voitures qu’on y croise sont conduites par des wazungu, lesquels, comme chacun sait, ne font pas le ramadan.
Il y a quinze ans j’habitais à Bandraboua, un village du nord de l’île et j’ai fait le ramadan. Pendant six jours très exactement. Six jours qui ne compteront pour rien dans mon salut puisque, s’il faut en croire une autorité locale consultée à l’époque, si on ne fait pas tout c’est comme si on faisait rien. Même si on fait tout et qu’on ne fait pas UN jour, c’est comme si on n’avait rien fait. Allah est comme ça parait-il. Miséricordieux mais intransigeant sur le ramadan. Tant pis pour moi.
L’expérience n’aura cependant pas été complètement inutile. Je n’aurai pas fumé pendant six jours, ce qui est déjà ça de pris. Six demi-journées pour être précis puisque dès la tombée du jour j’avais le droit d’en griller autant que je voulais. Ne pas manger était facile. Je me passai même du café du matin et le soir, à la rupture du jeûne, je n’avais pas grand faim. Ne pas boire était plus difficile mais j’évitai de courir, de marcher en plein soleil, de transpirer et c’était supportable. Ne pas fumer était éprouvant. Au point que je suis aujourd’hui persuadé que les fumeurs qui font ramadan se divisent en deux catégories ; ceux qui sont très très forts et ceux qui fument en cachette. J’ai fait le ramadan parce que j’avais envie d’être comme tout le monde dans le village, et j’ai arrêté au bout de six jours parce que je ne voyais plus l’intérêt de faire semblant d’être comme tout le monde. Je ne choquai personne, tout un chacun dans le village s’attendant à quelque chose comme ça puisque, la chose est connue, les wazungu ne sont pas capables de souffrir autant que les vrais croyants, lesquels disposent, avec l’appui du Miséricordieux, de toute la force du monde pour endurer sans se plaindre les privations et la fatigue imposées par leur foi. Sans se plaindre certes, mais pas sans le dire. Le ramadan se fait ET se raconte. « U fungu léo ? » On commence par poser la question ; « tu fais le ramadan aujourd’hui ? » Si vous êtes mzungu et que vous répondiez oui personne ne vous croit. Si vous répondez non on vous demandera alors pourquoi. Toutes les réponses sont alors possibles mais aucune ne les fera rire. Peu d'humour pendant cette période. On a faim, on a soif, on est fatigué, très fatigué, on a mal à la tête, on peut pas regarder les filles, ni les garçons cela va de soi, bref il faut drôlement aimer son Créateur pour endurer pour lui des tourments pareils. Le ramadan c’est la souffrance, la souffrance c’est pas drôle et il faut que ça se sache.
J’ai avec le divin des rapports très simples. Je crois que je crois en Dieu. J’ignore bien sur s’il existe et j’ignore aussi s’il n’existe pas. Ce que je n’ignore pas par contre c’est qu’il existe plus fort que moi. L’Homme ne possède pas la télécommande. Dieu, qui peut tout qui voit tout qui sait tout ne se situe pas dans ce « plus fort que moi » ; ce « plus fort que moi » n’est pas Dieu mais un espace, dans lequel je suis, qui mène à Dieu. Inch’Allah bien évidemment. Dieu ne se laissant ni appréhender ni percevoir on devrait je pense, un peu comme le font les Chinois, se contenter de chercher à nous comprendre nous mêmes et ainsi comprendre les lois qui régissent l’univers, puis de rechercher l’harmonie, c'est-à-dire notre intégration la plus parfaite possible, quasiment « nirvanesque » dans cet univers. Le travail du religieux devrait être de permettre à l’Homme d’accéder à ce qui permet d’accéder à Dieu. Ce qui serait déjà pas mal. Après, si Dieu veut intervenir, ma foi, c’est son affaire. Pas la nôtre. Dieu existait avant l’Islam, le Christianisme, le Judaïsme et toutes les religions du monde, et il existera après toutes ces constructions. On a le droit de parler de Dieu à la condition de savoir qu’on parle ainsi sans savoir. L'humilité est sans doute la toute première manifestation de la foi.
Nos religions en sont loin, mais à la réflexion c’est tout à fait normal puisque ce sont des constructions humaines et, tout comme les humains, il faut qu’elles bavardent. « Au commencement était le Verbe » disent nos Écritures, et à les entendre on pourrait croire que Dieu est le Verbe. Dieu est bien plus que ça. Le Verbe n’a pas fait naître Dieu, mais l’Homme. Les religions sont venues après parce qu’adorer ne suffit pas ; il faut aussi, et surtout apaiser. Surtout lorsqu'on vit en société. Religieux et politique, même combat. L’unicité même de Dieu est pour moi du verbiage. Si Dieu existe Il fait ce qu’Il veut, cela va sans dire. Et s’il Lui plait d’être perçu comme unique Il sera perçu comme unique et s’Il lui plait d’être perçu comme multiple Il sera perçu comme multiple et ça sert à quoi de discuter ?
Ramadan donc. Et que Dieu nous garde.
lundi 1 septembre 2008
encore des vaches
Toujours dans la série des vaches laissez-moi vous présenter Voie Lactée, la reine de la nuit, et psy-cow, qui a trouvé un carré d’herbe sympa à côté de son champ de luzerne habituel qui ne s’en n’est pas plaint et qui ne l'a dit à personne d'autre.
A la suite d’une question posée sur le nom à donner à la plus noble de mes vaches (voir articles précédents), on m’a suggéré de l’appeler « Vermeer, en l’honneur de la peinture et de la laitière ». Le rapprochement est élégant, l’attention est indiscutablement aimable et j’y suis sensible, mais je vois trois objections opposables à la suggestion de Lunembul (2), trois objections dont une seule malheureusement suffirait à interdire à mon aristocratique zébue de porter ce nouveau patronyme.
Tout d’abord Vermeer était un homme et ma belle zébue est une femelle. Cette fois-ci j’ai bien regardé et je suis sûr de ne pas me tromper. Une vache dont tout le monde dit, de Tsingoni à Vahibé, que c’est l’unique et la plus belle ne peut s’appeler Johannis. Imaginons l’inverse ; un taureau jeune et fier dont on voit de l’autre bout du champ que c’est bien un taureau. Le nommera-t-on Yvonne ? Ou Huguette ou Catharina, prénom de Madame Vermeer ? Imagine-t-on Manolete portant l’estocade à Madonna ou El Cordobes obtenant les oreilles et la queue de Lady Di ? Non, vraiment, la laitière est une bonne idée, mais Vermeer ne convient pas.
La deuxième objection est moins rationnelle mais elle est tout aussi impossible à écarter. Ma vache a des cornes et je n’imagine pas une seconde en faire porter à Vermeer. Baudelaire, que je plagie volontiers, avait ses phares ; moi j’ai les miens, il se trouve que Vermeer est l’un d’eux, et on ne me fera jamais mettre des cornes au front d’un de mes peintres adorés. Peut-être Catharina s’en est-elle chargée. Je ne veux pas le savoir. Vermeer n’aura pas de cornes un point c’est tout. Aurions-nous à faire à un veau qu’il ne s’appellerait pas davantage Vermeer, ni Rembrandt, ni Caillebotte. Le sujet est donc clos.
La troisième objection tient au public qui doit choisir le nom de ma jolie vachette. Il s’agit du personnel de LdM, c'est-à-dire de la laiterie de Mayotte, composé à 95% de Mahorais. C'est-à-dire de Comoriens. C'est-à-dire de gens qui, en peinture, n’y connaissent rien de rien et qui s’en foutent complètement. Au risque de choquer, et peut-être même y trouvé-je plaisir, j’écris « Mahorais donc Comoriens » parce que sur le sujet de la peinture, Mahorais et Comoriens c’est un seul et même combat. Tout le monde s’en fiche à l’unanimité. Brassens n’aurait pas dit autrement. On connaît Picasso parce qu’il s’en vend à la SMCI(1), on sait que da Vinci a ramené un maximum de tunes à un mec avec une histoire de code mais là s’arrête à Mayotte la culture du dessin. Et nul ne pense à la porter plus loin. Pour quoi faire ? Quel est l’intérêt d’un tableau ? A Ngazidja (Grande Comore) il existe un excellent peintre, qui fait de l’abstrait mais ce n’est pas grave il est très bon quand même, il s’appelle Modali ; il est suivi par quelques autres qui sont peut-être prometteurs, l’avenir le dira, tous loin derrière le maître ; à Ndzuani (Anjouan) et à Mwali (Mohéli) je n’en connais pas, et à Mayotte les seuls qui peignent à temps complet sont des importés. Deux métros et un métis africano-batave. Pas un Mahorais. « Il faut encourager les artistes ! Donnez-nous de l’argent et on vous trouvera des artistes ! Que fait l’Etat ? Que fait le ministère de la culture ? Le Conseil général ? Que fait le directeur des affaires culturelles ? (Ca c’est une bonne question) On veut des subventions ! » Les sous d’abord, le travail après, Inch’Allah. Mouais. Si on veut. Pas sûr que ça marche.
« Ca va venir » nous dit-on ; on nous le dit aussi à propos de beaucoup d’autres choses. . Peut-être le goût des arts, plastiques et autres, viendra-t-il après que Mayotte soit département, comme le goût d’être à l’heure, de rendre les outils qu’on emprunte ou d’attendre son tour au guichet de la Poste ; peut-être que oui peut-être que non, mais pour le moment l’intérêt porté au dessin et à la peinture est proche du zéro absolu et tout indique, selon moi, qu’il va y demeurer.
Il existe pourtant un moyen d’intéresser la jeunesse de Mayotte (et des Comores) à la peinture et au dessin et il est fort simple ; je le suggère à Lunembul (2) pour le jour où il sera président de la France toute entière, et donc aussi de Mayotte. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’être président ; c’est à la portée de quiconque veut rentrer dans l’histoire du mécénat et y prendre la place de Jules II. Il lui suffit de m’acheter un joli 4x4, adapté à la région, une Porsche Cayenne par exemple, rouge de préférence, ainsi que la Rolex et les Ray-Ban qui vont avec. Et lorsque, pour faire l’emplette de mes fusains ou de mes toiles j’irai à Jumbo ou à la Maison des livres en un tel équipage, alors les jeunes d’ici commenceront à s’intéresser aux arts plastiques.
(1) la SMCI est à Mayotte un revendeur automobile
(2) « lunembul » possède un blog qui s’appelle « l’envol de la baleine » et de temps en temps il se permet des petites réflexions…
Inscription à :
Articles (Atom)