dimanche 24 août 2008

têtes de vaches




Cette semaine j’ai peint des vaches. Des têtes de vaches. Huit d’entre elles. Sur la suggestion du directeur de la laiterie locale. Pour habiller le couloir menant à son bureau. « Pourquoi pas » ai-je pensé. Je n’avais jamais peint de vaches de ma vie. Les panneaux font 45cm x 45 cm et il y a là de quoi habiller sept mètres de mur, espaces compris. J’ai commencé par les traiter à l’acrylique, pensant que ça irait plus vite, mais décidément l’acrylique est un médium que je n’aime pas. Sa qualité ? Il sèche vite. Son défaut ? Il sèche vite ; Mais surtout j’aime le gras et le soyeux de l’huile et le travail possible dans le frais et le demi-frais. Bref maintenant je sais faire des vaches. C’est toujours ça de pris.
Les vaches m'ont rappelé l'Australie. Je ne connais pas la prairie américaine et ses immenses pâtures, mais je connais les immensités australiennes et j'y ai vu des grands troupeaux. Les cow boys australiens ont la même allure que leurs collègues américains; chapeau à larges bords, chemise ouverte, pantalons de jean,dents jaunes et avariées, et cette odeur si caractéristiques des vachers des grands espaces, faite de sueur de cheval, de chaussettes confites sur des pieds macérés et de périnées frottés huit à dix heures durant sur le cuir de la selle. Les cow-boys se reconnaissent les yeux fermés dans n'importe quel pub.

J'ai vu les vaches australiennes de près un jour que je peignais dans la forêt, pas loin de chez moi, aux confins du Victoria et du New South Wales, un coin paumé, loin de tout de tout et de tout, tranquille peinard, mon plus proche voisin à trente bons kilomètres. J'avais laissé la voiture et les sandwichs sur la piste, à deux pas et pendant que je barbouillais la bucolique scène mon chien vivait sa vie, coursant sans succès lapins et canards sauvages, se vautrant à l'occasion dans quelque dépouille pourrie et je n'avais pas entendu parler de lui depuis une heure ou deux.Il arriva soudain, essoufflé, et plutôt que d'aller vers sa gamelle d'eau il vint s'asseoir entre les trois pieds de mon chevalet et me regarda en balayant le sol de sa queue, les oreilles couchées, la gueule entr'ouverte façon sourire faux cul, comme s'il avait fait une bêtise. Un Border Collie faisant une bêtise en pleine forêt australienne! Il n'y avait surement rien de sérieux.

"Que vous arrive-t-il, Le Chien? Vous avez l'air tout con!" La queue continue à bouger, la langue continue à pendre, et il regarde derrière lui de temps en temps, là où je ne vois ni n'entend rien du tout. ; je vais vers la voiture, il me suit; je reviens à mon chevalet, il me suit aussi. Je haussai les épaules,décidai de ne pas tenir compte de son humeur et me remis à peindre... jusqu'à ce que Le Chien se mette à gémir.
C'est alors que je vis les vaches. Je fus doublement surpris parce que je n'aurais jamais pensé qu'une vingtaine de vaches pussent se déplacer en forêt sans faire de bruit, sans balayer les feuilles, sans casser une branche, sans se meugler des recommandations les unes aux autres. Surpris aussi parce que le plus tranquillement du monde, toujours sans faire de bruit, comme si elles avait toute la journée devant elles, à une dizaine de mètres devant moi, elles s'écartaient et tournaient, qui à droite, qui à gauche, toujours très calmement, comme si elles rentraient à l'étable à l'heure de la traite. Le plus fascinant c'est qu'on voyait qu'elles savaient ce qu'elles faisaient! Sous le chevalet le Chien gémit à nouveau, et recula pour venir heurter mes jambes. Je compris soudainement, et me souvins d'histoires abominables de promeneurs égarés dans un pays à vaches et passant un, deux, ou peut-être trois jours dans un arbre, attendant un hypothétique secours tandis qu'en bas, les bêtes à cornes, paisibles à l'ordinaire, attendaient la première occasion de faire sa fête au chien. Lequel chien ne rêvait que d'une chose, être près de son bon maître, là où qu'on est bien et en sécurité, tandis que le bon maître lui ne rêvait qu'à une chose, que son chien s'en aille loin, très vite, et entraîne le troupeau avec lui. Comme quoi la meilleure des éducations ne permet pas toujours de comprendre les choses les plus élémentaires. Les vaches n'aiment pas les chiens, pas du tout, et je m'en souvins juste à temps pour prendre Le Chien dans mes bras, le porter dans la voiture et l'y enfermer, avant de ramasser une branche qui traînait par là et de faire face à ces dames. Lesquelles ne me regardèrent même pas, reniflèrent leur mépris, firent pesamment demi tour, s'en allèrent du même pas, sans se retourner ni peu ni prou, en faisant du bruit cette fois-ci, hochant vivement la tête et meuglant leur profonde satisfaction.
Peindre ces vaches m'a ramené là-bas. Va comprendre

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