mercredi 29 octobre 2008
Si j'étais noir ... article 29
Si j’étais noir les Wazungu (1) en tout premier en seraient tout heureux. A commencer par les profs d’arts plastiques qui y verraient, enfin! une vraie bonne raison d’être venus à Mayotte, une récompense méritée à toutes ces années de labeur pour décrocher l’agrégation, une désormais inattaquable justification de leur prime. Sans doute n’achèteraient-ils pas davantage mais ils parleraient plus de mon travail. « Ce paysage que tu vois là a été fait par un Mahorais ! C’est pas possible ! Si si je te l’assure. Il s’appelle Aderahamane Saïd mais son surnom c’est Marcel. Il vient de la brousse. Ah ben dis donc ! Ah ben dis donc ! Comme quoi ça vaut la peine de dépenser de l’argent dans l’éducation. Repasse-moi, veux-tu, le catalogue de la Camif.»
Ravies de la nouveauté les élites expats, issues de la préfecture, de l’IEDOM (2), de la magistrature ou de la chambre de commerce m’inviteraient à leurs cocktails, à leur table, au golf, m’offriraient un stand au Comité du tourisme et me présenteraient à leurs hôtes de passage. « Monsieur le ministre laissez-moi vous présenter Abderamane Saïd, plus connu sous le pseudonyme de Marcel. C’est lui qui a fait la nature morte que vous voyez là, juste sous l’air conditionné. Ah ! Mais c’est très bien ça ! Très très très très bien. Vous avez appris où ? Ici, à Mayotte ! C’est un artiste de passage qui aura décidé de votre vocation ! Ah mais c’est très bien ça ! Très très bien. Un nègre qui peint comme nous ! Voilà qui est émerveillâble ! Continuez à travailler mon ami. Vous ne pouvez que réussir. Vous êtes l’avenir de l’Art à Mayotte. »
Toujours bien disposées toujours enclines à s’émouvoir*, les épouses de toutes ces huiles se sentiraient soudainement pousser des ailes de muse ou d’égérie et, pour peu que je prenne l’air triste et renifle à propos, pour peu aussi bien sur que je ne la ramène pas trop, mettraient toutes leurs forces en œuvre pour aider, à travers moi, tous ces beaux mais tellement malheureux Africains qui sont si tristement démunis de tout, ah comme c’est injuste!, m’inviteraient au jury de la meilleure encadreuse, à la journée annuelle « arts et loisirs » organisée par les épouses des personnels du DLEM (3) ou du GSMA (4), à l’arbre de Noël du Rotary, et donnant sans retenue libre cours à la bonté, l’altruisme et le désintéressement qui sont les qualités naturelles de toutes les femmes occidentales quant elles sont chez les pauvres, remueraient ciel et terre pour faire ma promotion, mettraient le siège devant mon atelier et me harcèleraient pour qu’après tant d’efforts enfin je les peignisse. « Ah Marcel ! Par pitié introduisez nous à la magie de votre pinceau ! »
Le rédacteur en chef de RFO, le directeur d’antenne et peut-être même Moina Saindou me trouveraient à leur goût, les pigistes du Mahorais apprendraient à écrire le mot « art » sans faire de faute d’orthographe, Mayotte hebdo, oui Mayotte hebdo soi-même m’inviterait à un de ses tant courus petits déjeuners, avec Ali Saïd Attoumani par exemple, qui aurait insisté pour être invité et qui serait arrivé à l’heure, Alain Kamal Martial abandonnerait le look de BHL, cesserait cinq minutes de parler de l’esclavage, se prendrait pour Jack Lang et m’embrasserait à chaque fois qu’il me rencontrerait, on me demanderait de faire partie du GRDC (5), le Conseiller d’Etat, si tellement occupé, entre deux avions ou entre deux vins romprait le croissant matinal avec moi à la terrasse de la boulangerie, Taillefer ordonnerait aux agents de sécurité de la Poste ou de la Sécurité Sociale de me laisser accéder aux guichets avant tout le monde, nimbé de tant de gloire je retrouverais le chemin des petits papiers de la Prima Dona du barreau, appelons-la Madame Z, qui me pardonnerait mes extravagances du passé, et la première d’entre elles, celle de lui avoir tenu tête, m’ouvrirait à nouveau tout grand les portes de sa villa, m’achèterait peut-être un petit ouvrage et, signe d’une profonde émotion, ne penserait même pas à me demander une ristourne, les gens en place couvriraient mes expositions, on m’inviterait pour entendre mon point de vue sitôt qu’on parlerait d’art ou de culture, on organiserait des débats contradictoires à l’issue desquels tout le monde se quitterait content de soi, Chamoins, le directeur des affaires culturelles de la préfecture me hisserait aux nues, moi qui suis par ailleurs tant porté sur les nus, on me solliciterait pour la coopération régionale, on me supplierait d’enseigner aux enfants, on m’octroierait des subventions, va savoir, on soufflerait mon nom pour une médaille des arts et lettres et, lorsqu’on m’inviterait, le soir, au restaurant, les serveurs, déférents, me donneraient du « maître ».
Voilà donc bien matière à rêver.
Et qu’en penseraient les Mahorais si j’étais noir ? À suivre…
* merci Brassens
(1) Un Blanc : muzungu prononcer m’zungu. Des Blancs : wazungu
(2) IEDOM Banque de France hors hexagone
(3) DLEM Détachement de la Légion étrangère
(4) GSMA Service militaire adapté
(5) GRDC Groupe de Réflexion sur le Devenir des Comores. Très documenté, très pointu et très chatouilleux sur l’histoire de la région, très intelligent, très amoureux des Comores dans leur ensemble, un peu snob ou peut-être simplement élitiste, très anti-département et donc quasiment clandestin par les temps qui courent.
Et si j’étais Comorien ça donnerait à peu près ça.
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8 commentaires:
Excellent!
Merci pour avoir exaussé mon voeux. Vous êtes pas mal en noir!
Votre délire m'a fait penser à la chanson "le chanteur" de Balavoine
: "et partout dans la rue j'veux qu'on parle de moi,que les filles soient nues, qu'elles se jettent sur moi, qu'elels m'admirent qu'elles me tuent, qu'elle s'arrache ma vertue".
@+
MA
Bravo. De l'avoir écrit, si clair, si net... De l'avoir rêvé...
Dommage que la couleur de la peau soit encore un critère de jugement, une qualité ou un défaut, un argument...
Amitié
Laurent
Le poids des mots, le choc des photos.
Merci de nous avoir fait rire ce soir !
...
Apprenant mon arrivée sur l'île début août, j'ai feuilleté vite fait le guide vacancier consulté par tout nouveau voyageur ou résident sur l'île. A la rubrique art que j'ai sélectionnée comme premier attribut de lecture je découvrais le nom de Marcel Séjour, artiste-peintre. Ce nom sonna dans mon esprit comme un nom local, à l'image d'un Césaire comorien, un poète du pinceau connu de tous et apprécié par la qualité de ses œuvres et de son esprit.
Le temps passa mais je ne vis pas la culture imaginée autour de ce fameux Séjour, unique pourvoyeur et représentant de l'art des pigments à l'huile sur l'île. Pour les pigments à l'eau un certain Gil fait montre de ses offices artistiques et de sa galerie...A savoir de cette culture bienséante et auto-suffisante qui est souvent liée à la mouture chevaleresque de dignes représentants des plus hautes fonctions administratives ou économiques d'une région, collectivité ou ville, comme l'article ci-dessus le montre si bien.
Alors ce fameux Séjour où se cache-t-il pour que ses toiles n'aient même pas pignon sur rue dans le moindre article officiel?
Le jour où, à la recherche de cours de peinture, j'appelle ce mahorais ou comorien (qu'en sais-je?) pour m'enquérir, autant que je le puisse, de la richesse de son expérience qu'il accepte de m'accorder, je lui téléphone en vertu de la formule consacrée -"où quand comment combien?" - et entend une voix rocailleuse préfigurant toute la grandeur d'un ancien du pays, que j'imagine noir d'ébène, dans son atelier lui aussi "noir de peintures". De plus cette voix est d'autant plus locale qu'elle est chaleureuse, qu'elle exprime la simplicité et la qualité de l'esprit du correspondant. Je me dis que ce sera une des premières étapes de mon "séjour" sur l'île dans la rencontre avec la culture mahoraise car j'aime m'imprégner de la sagesse des anciens (ou un peu moins anciens) malgré parfois une certaine gêne quand on entre dans l'intime vie d'autrui. Ce sont des moments si délicats et parfumés pour l'esprit, où la conscience s'octroie une nouvelle page de son livre de la vie.
9h00 un samedi matin, je sonne, entend l'illustre personnage derrière les tôles déjà chauffées de soleil puis le rencontre, l'écoute, l'observe et l'apprécie d'autant plus par son humour et sa gentillesse.
Tout ce que j'imaginais du convive de la couleur y est ....sauf la couleur justement! Marcel le mahorais est tombé dans le blanc de Lithopone étant petit!
Après la lecture de cet article et des précédents je comprends mieux le pourquoi de cette même impression perçue au bout de quelques semaines sur l'île, celle où l'artiste ne semble pas porté à la hauteur de ce qu'il mérite, ne serait-ce déjà sans le connaître, qu'en observant la qualité de son travail.
Mayotte a beaucoup de problèmes, celui de Marcel est un problème mahorais à juste titre. Ce n'est pas le problème d'un artiste en mal de célébrité, non c'est celui d'un territoire envers un artiste dont le contenu et la qualité des œuvres mériteraient le label OMOC: Oeuvres Mahoraises d'Origine certifiée. Tout comme l'Ylang Ylang ou le lagon bleu (qui se meurt en passant) les OMOC de Marcel (bien vivantes) pourraient faire valoir la beauté de l'île et de la vie mahoraise comme un Jurançon ou un Ossau-Iraty pur brebis font valoir la richesse sous-jacente d'une vallée et de ses habitants. Peut-être qu'en peignant des pontes mahorais (et pourquoi pas les poules associées?) devant leur bureau comme à une époque révolue où les rois avaient leur peintre officiel le maître serait reconnu et apprécié à sa juste valeur? Mais je ne crois pas que ce soit de cette vie là dont le maître rêve le soir...liberté quand tu nous tiens...
Un homme averti en vaut deux, nous voilà servis, la surprise de la couleur en plus.
Merci Marcel pour tes articles si délicieux et plein d'humour.
A bientôt.
Mick
Olá, goût très du Blogue.
Désolé de ne pas écrire plus, mais mon français écrit est mauvais.
Une étreinte du Portugal
Et moi qui pensais que vous êtiez Chinois !
Si tu étais noir, tu serais Président des États-Unis
Bonjour,
très pédant comme article. Je ne pense sincèrement pas que la couleur de peau soit un critère dans l'acceptation d'un artiste sur Mayotte. Je pense, bien au contraire, que c'est la qualité des productions artistiques qui fait tout.
Désolé, mais si vos oeuvres ne plaisent pas il ne faut pas aller chercher une excuse du genre complot sur la couleur de peau. Peut-être faudrait-il revoir sa qualité artistique tout simplement.
bien cordialement,
Patrice
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