mercredi 25 juin 2008

c'était à Mayotte et on ne le savait pas


Tout cela se passait en 1841 puisque c'est en 1841 qu'eut lieu l'échange. Le Mzungu investit la place et c'est ainsi que tout changea.

Mais pas tout de suite. Le Mzungu prit son temps. Il commença par poser son camp sur le rocher de petite Terre, parce qu'il y avait largement la place pour une garnison, canon compris, et que d'où il était il pouvait voir venir les mécontents de loin. Le gouverneur était pèpère et les années passèrent, pendant lesquelles il ne se passa rien. Et pendant ce temps là plus personne ne vint, ni voisins ni autres, pour embêter les Mahorais ou leur demander de venir travailler sans être payés. Plus personne sauf le Mzungu bien sur, mais en Petite Terre il est lointain et il demande peu. On a connu des conquérants plus casse-couilles. Il entend qu'on s'occupe de lui, chose bien naturelle chez un conquérant, et veut donc qu'on le nourrisse, ce qui est facile, qu'on le loge, plus chiant mais facile aussi, et qu'on l'amuse, ce qui se comprend car ces messieurs sont jeunes! Facile facile aussi. D'autant plus facile que parmi ses voisines immédiates Mayotte a la réputation d'être celle où on s'amuse, les trois autres Comores devant être tristes comme la pluie, comme nous le dit un vieux dicton cité par les Comoriens: "à Ngazidja (Grande Comore) on bavarde, à Ndzuani (Anjouan) on travaille, à Maore (Mayotte) on s'amuse et à Mwali (Mohéli) on dort." Nulle part on ne gouverne ni n'administre mais c'est à Mayotte qu'on s'amuse, et on le fait depuis si longtemps que dans la région ça se sait et ça se dit. Heureux wazungu de 1841! Ils étaient tombés au bon endroit. Quelle belle vie, quand on y songe! J'ai vingt ans, ou trente, ou même quarante, je viens de si loin que vous ne pouvez pas savoir, je vais repartir bientôt parce qu'ici c'est pas terrible et je veux manger, boire, me promener, dormir au sec mais pas seul, sans moustique si c'est possible et voilà! Allez-y, clap clap, servez-moi! Et pendant que l'on me sert, la République me paie. Bon plan. Dans quatre ans, huit si je renouvelle, je rentre et j'achèterai du bien avec mes primes. Je me serai un peu barbé mais ça valait la peine. Et il y a des postes pires que ça, avec VRAIS coups de feu et VRAIES batailles. Et question amusement, c'est vrai, j'en témoigne, Mayotte n'a rien à voir avec la Creuse, la Meuse, la Savoie et leurs très courues fêtes du Saint Sacrement. Il est rare par exemple, qu'à Guéret, Verdun ou Chamonix on s'amuse torse nu. Rien que ça et l'amusement n'est déjà plus tout à fait le même. Si la différence entre travail et amusement est une différence quantitative de contraintes, eh bien il y avait à Mayotte moins de contraintes ou de tabous qu'ailleurs, moins qu'à Anjouan où l'on travaille! moins qu'à Ngazidja où on bavarde, ce qui distrait mais n"amuse" pas, et moins qu'à Mohéli où on ne fait que dormir.

Les contraintes sont venues avec le Mzungu et avec le temps bien sur et la qualité de l'amusement s'en est ressentie. Le vulé était un évènement débarrassé de toutes contraintes et ne conservant que les tabous classiques, inexpugnables. A part ceux ci on mange si on veut, quand on veut, ce qu'on peut, on dit ce qu'on veut à qui on veut et on rentre quand on veut si on peut. Pour vivre comme ça il faut avoir du temps. Aujourd'hui on fait ça le dimanche, le seul jour où on a du temps, on a souvent des reproches quand on rentre chez soi, et le lendemain il faut bosser. C'est pas la même chose et l'amusement n'est plus le même.

Denam'neyo, comme on dit aussi, ce qui se traduit très exactement par "ainsi va la Vie", ou "esta la Vista" C'est comme ça et on y peut rien.

Et c'est ainsi qu'on a pu voir quantité d'hommes jeunes, libres, beaux ET pas pressés! C'était à Mayotte et on ne le savait pas.

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