jeudi 12 juin 2008

Cène masculine part.2


Voilà donc le dessin préliminaire de notre Vulé. Avec une majuscule parce qu'il ne s'agit tout de même pas de n'importe quel vulé, mais du dernier. Rien après ce Vulé ne sera plus comme avant. Fin d'époque. Tous les vulé précédents auront été oubliés et on ne se souviendra que de celui-ci. Ça, j'aimerais bien. Il y eut un "avant le Vulé de Marcel", et il y eut un "après le Vulé de Marcel". Et même si on laisse tomber le côté mégalo cher à la plupart des artistes, j'ai voulu faire une Cène avec des Mahorais parce que si Mayotte continue sur la voie du développement comme elle le fait, il va arriver un jour où les gens du cru vont dire:" ah! un vulé; c'était le bon temps!" On pourra toujours s'asseoir en pleine brousse sur des noix de coco et manger avec les mains des bananes grillées dans leur peau et des poissons ou des hérissons attrapés sur place et embrochés sur une baguette de bois. On pourra toujours passer une après-midi entre mecs à manger ce qu'il y a, plus ou moins bien assaisonné ou plus ou moins bien cuit et se raconter des histoires de mecs sans se préoccuper ni de nos maîtres ni de nos maîtresses. Mais il fut un temps, pas si distant que ça, où le vulé faisait partie du quotidien, tandis qu'aujourd'hui il fait déjà partie de l'exception. Quoi qu'on en dise il y a donc bien eu un avant vulé et un après vulé, et ce sera ma fierté que d'avoir contribué à rendre ce passage tangible.
Treize hommes, comme dans l'Eucharistie. Qui partagent un repas, comme dans l'Eucharistie. Sans femmes, comme dans l'Eucharistie. Du moins pas que nous sachions, puisque nous n'étions pas là pour le voir. Sans femmes apparentes dirons-nous, parce qu'au temps de l'Eucharistie elles étaient probablement dans la cour ou dans la cuisine, pas très loin de toute façon, à portée de voix sinon à portée de regard, occupées à traiter leurs affaires de femmes et de mères en discutant de leurs problèmes de femmes et de mères. Comme à Mayotte il y a seulement quinze ans. Pendant la journée les femmes vaquent à leurs occupations de femmes et les hommes vaquent à leurs occupations d'hommes. Si un homme voulait s'occuper des affaires de femmes il se ferait très vite traiter par ces dames, à haute et intelligible voix, de "sarambawi", ce qui veut dire "efféminé". Pas homo, mais pas loin. Pas question bien évidemment de se faire traiter de sarambawi devant tout le monde, et il n'y aura donc pas un homme qui manifestera en public de l'intérêt pour des affaires de femmes. Dans la journée donc les hommes conduiront leurs affaires et les femmes conduiront les leurs. La nuit, bien sur, on peut faire ce qu'on veut puisque, même les nuits de pleine lune, chacun fait semblant de ne rien voir, et les taux de natalité indiquent que les hommes et les femmes de Mayotte passent ensemble plus de temps qu'on ne le penserait à première vue. Ils jouent ensemble, sans aucun doute, mais n'étant ni plus rustres ni plus mufles qu'ailleurs ils débattent en toute confiance des problèmes qui sont les leurs, exposent, concluent, font des projets, jusqu'à l'aube naissante où je rentre chez moi et toi tu vas chez toi. Les hommes conduisent leurs affaires d'hommes, les femmes conduisent leurs affaires de femmes et les vaches sont très bien gardées.
Puis le Mzungu vint et tout devint moins simple. Il y eut donc un avant Mzungu et un après Mzungu. (Mzungu signifie l'homme blanc; ce que les Kenyans appellent le "bwana"; ce que les Sénégalais appellent le "toubab"). Le Mzungu vint, donc, et tout se compliqua.

Au début personne ne s'est rendu compte de rien. Avant que les wazungu (pluriel de Mzungu) ne se fassent connaître Mayotte n'intéressait absolument personne, et seuls les habitants des Comores voisines, ceux du moins qui avaient un peu de temps et un peu d'argent à perdre, venaient y faire un séjour, soit pour y faire un tour, soit pour faire acte de présence ou de vague possession, soit pour faire connaissance avec les femmes du pays et vérifier par soi-même si ça valait la peine de revenir. Un peu comme ce qui se passe aujourd'hui avec Madagascar. Eloignée des centres de décision arabes qu'étaient la Grande Comore et Anjouan, dépourvue de larges plaines faciles à cultiver, peuplée en majorité de gens d'origine Bantou, noirs de peau, courts sur pattes et crépus de poil, (rien à voir avec l'aristocratie issue de la péninsule arabique par exemple, grands spécimens à la peau claire et au cheveu lisse), très humide en saison des pluies et couverte de forêts la rendant infestée de paludisme neuf mois sur douze, non, vraiment, Mayotte ne présentait pas le moindre intérêt pour quiconque. Tout au plus pouvait-on venir y chercher en cas d'urgent besoin la main d'œuvre qui manquait parfois pour cultiver canne à sucre, Ylang, girofle et vanille des grands espaces de Mohéli ou d'Anjouan, mais les bougres mahorais étaient rétifs et peu empressés à servir. Etonnant n'est-ce pas? Quelques Malgaches aussi étaient venus voir à quoi ressemblait la plus méridionale des Comores, à quelques jours de pagaïe de chez eux, mais ils avaient décidé qu'ils avaient mieux à la maison et seuls les plus téméraires ou les plus désespérés s'étaient installés à Mayotte. Jusqu'à ce qu'un prince malgache, renégat et podagre, fuyant la colère d'autres princes, ne vint chercher refuge sur le rocher de Petite Terre, peu fertile mais facilement défendable par la poignée de reitres qui l'avaient suivi. Adriantsouly donc, le prince malgache goûteux, obèse et goitreux, s'installa du mieux qu'il put en Petite Terre, déclara Mayotte sienne, pourquoi se priver, et envoya ses hommes de main faire de temps en temps quelques razzias sur Grande Terre (quinze minutes en pirogue) pour s'approvisionner en zébus, chèvres et poulets. Rien à dire. Avant lui d'autres avaient fait la même chose, et après lui d'autres feraient pareil.
Sur ces entrefaites Passot survint. bel homme, la quarantaine avantageuse, commandant de deux fiers vaisseaux , et sitôt arrivé dans le lagon, il tira quelques coups de canon, pour dire bonjour, selon la police, pour impressionner les indigènes, selon les organisateurs. Adriantsouly fut tout de suite impressionné et proposa à Passot de vendre Mayotte à la France, celle-ci assurant au félon, avec ses trente deniers et sa protection, la possibilité de finir ses jours dans les effluves du bangué, les vapeurs du vin de palme et les bras de jeunes et fraîches vierges ou pas vierges beautés locales qui pourraient ainsi par leur sacrifice contribuer puissamment au confort de leurs vieux parents. Là non plus rien à redire. Ça s'est fait et ça se refera. Et personne ne sera lésé. Tout un chacun devrait pouvoir finir ses jours dans le maximum de confort. Je pense, quant à moi, que l'opium, par exemple, devrait être interdit jusqu'à l'âge de quatre vingt ans, et autorisé au delà. De même pour la prostitution, dont on dit si souvent tant de mal à tort et à travers, et qui ne pourra jamais être supprimée. Qu'on la limite tant que l'on peut, eu égard aux lieux et aux époques, passons. Mais qu'on la rende libre, et même qu'on l'encourage! pour les usager(e)s de quatre vingt ans et plus! Bref, Adriantsouly s'en tira fort bien et la France se retrouva propriétaire d'un grand et beau lagon pouvant accueillir en toute sécurité plus de cent vaisseaux si d'aventure il prenait à la France la lubie d'y envoyer cent vaisseaux, plus un îlot où on pouvait construire un bâtiment administratif et une caserne et une Grande Terre humide sauvage et pourrie dont on se demandait ce à quoi elle pourrait bien nous servir, mais bon, c'était toujours autant que les Anglais n'auraient pas.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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