Répétition ? J’espère bien que
non !
Puisque
mes tableaux ont été faits à Mutsamudu, puisqu’ils y sont stockés en vue de
l’expo à Moroni et puisque j’ai depuis toujours une tendresse particulière pour
Anjouan j’ai accédé bien volontiers à la requête de Célestine et j’ai donc
laissé mes dix-sept tableaux sur les murs de la petite salle d’exposition de
l’alliance française, comme une répétition de l’expo en Grande Comore. Le
vernissage a eu lieu hier, à 17 heures. Les tableaux avaient déjà été exposés
en février, dans leur version noir et blanc, sans touche de couleur, et nous
avions pensé qu’il serait intéressant de les faire voir avant, puis après que
les couleurs y soient rajoutées. Une façon à intention pédagogique de montrer
la progression de mon travail.
Une
cinquantaine de personnes s’étaient déplacées en février et j’avais fait une
démonstration de dessin avec la peinture noire. Le public avait été attentif et
quelques bonnes questions avaient été posées. Rien de tel hier soir. S’il y
avait vingt personnes c’était le bout du monde et à dix-sept heures le groupe
électrogène ne fonctionnait pas, laissant la salle d’expo dans l’obscurité.
Célestine était navrée ; « il ne m’a rien dit » se
plaignait-elle de son régisseur. « Ce n’est pourtant pas la première fois
que je lui demande de me dire lorsqu’il y a un problème ! ». Le
groupe était tombé en panne la veille, dans l’après-midi mais comme
l’électricité régulière était revenue dans la soirée, et un petit souci en
entrainant un autre, le régisseur avait oublié d’en parler, ce qui rendait
improbable le déplacement d’un technicien capable de remettre l’engin en route
un samedi en fin d’après-midi. « J’ai eu peur de vous fâcher » a-t-il
déclaré à la directrice de l’Alliance, ce qui était bien sur n’importe quoi
mais avait le mérite de rendre Célestine vaguement coupable de l’embarras dans
lequel tout le monde se trouvait. A dix-huit heures, fort heureusement, le
courant régulier, celui fourni par l’Etat, est revenu alors que l’assemblée
buvait son jus de tamarin en grignotant des cacahuètes dans la pénombre du
jardin et l’on put enfin découvrir les tableaux.
Vingt
visiteurs donc, dont six blancs, et une quinzaine d’autochtones, y compris le
régisseur craintif, y compris Issouf, l’assistant de Célestine et y compris Salim,
mon assistant à moi. « C’est la saison des mariages » me fut-il
expliqué pour justifier l’indigence de la fréquentation. Chez les blancs on
comptait Célestine et moi-même plus deux couples, la trentaine, très soudés, façon
petit club de province ou d’expats, restant collés les uns aux autres et
communiquant en anglais. Un grand en jeans et T shirt pas très propres, qui
s’est révélé être anglais, sa compagne, américaine potelée, hautaine comme on
peut l’être quand on est issu d’une race supérieure, un anneau dans le nez, longue
tresse roulée en chignon sur l’arrière du crâne, portant jupe extra longue en
tissu froissé comme les aimaient les tisseuses de macramé des années soixante-dix,
très pratique pour courir après les chèvres, châle coloré sur les épaules pour
se fondre dans la couleur locale. Les deux autres venaient de France. Tous les
quatre travaillant dans l’humanitaire. Ce n’est pas la première fois que je
rencontre des humanitaires. Ces gens qui sont payés pour faire le bien autour
d’eux et loin de chez eux. On les voit souvent dans des 4x4 neufs sillonnant la
brousse et expliquant aux gueux comment creuser un puits ou comment construire
un four. Ils sont aussi de tous les évènements mondains, surtout si un ministre
est présent, de toutes les fêtes nationales, surtout si l’ambassadeur est
annoncé, de toutes les expositions. Toutes ? Je ne sais pas. Anjouan,
pauvre parmi les pauvres compte certainement plus de quatre humanitaires et je
me demande où étaient les autres.
Le
grand British a eu le temps de me dire que le seul tableau qu’il avait aimé
lorsqu’il était en noir et blanc lui plaisait beaucoup moins depuis que j’y
avais mis mes touches de couleur ; humanitaire mais pas diplomate. Et il
m’a posé une question : « pourquoi faites-vous du noir et blanc avec
des touches de couleur ? » Manifestement dépassé par tant
d’extravagance il attendait une réponse qui calmât son angoisse. « Parce
que j’aime bien », lui répondis-je ; et j’ajoutai l’air ravi que sa
question était une bonne question, ce qui le déconcerta visiblement. Il croyait
sans doute que je me payais sa tête. Loin de là. En s’étonnant de ce qu’il
voyait il me disait qu’il n’avait jamais vu ça ailleurs et c’est ça qui m’a
fait sourire. La vérité c’est qu’en
faisant du noir-et-blanc-couleur je
n’ai jamais l’impression que je fais quelque chose d’original. J’ai le
sentiment de passer mon temps à chercher, à tâtons, à l’aide du dessin d’abord,
à l’aide de la peinture ensuite, des équilibres, des harmonies, des
satisfactions esthétiques, tous ces petits soulagements n’étant peut-être
qu’une seule réponse à la question fondamentale et quotidienne ;
« mais pourquoi diable me suis-je levé ce matin ? »
« Vous
passez manifestement beaucoup de temps sur vos dessins », me fit remarquer
l’autre jeune femme, un brin d’étonnement dans la voix, comme si ce n’était pas
vraiment nécessaire. Lorsque je lui dis que le dessin était LA pratique à
assurer quand on faisait ce métier elle me dit tout à trac qu’il y avait
plusieurs écoles à ce sujet et qu’elle ne fréquentait pas du tout, mais alors
là pas du tout la mienne, me renvoyant sans ménagement à ma ringarditude. Bon,
c’est comme ça ; je suis ou très très ringard ou très très en avance. Mes
petits enfants comoriens auront la réponse à cette question.
Pas
de femme parmi les spectateurs anjouanais ; trop occupées probablement
avec les mariages cités plus haut ; leurs hommes aimables et souriants,
comme à l’accoutumée, heureux de discuter avec moi et de me dire que c’était
magnifique, merveilleux, génial.
Déçu ?
Non, je savais ce qui m’attendait ; c’est confirmé, tout reste à faire. La
suite à Moroni.
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