Démission ou soumission?
Octobre 2012
Démission ou soumission ?
A chaque fois qu’il y a une manifestation des jeunes de Kaweni
ou d’ailleurs la presse mahoraise, quotidienne ou hebdomadaire utilise deux
expressions : enfants gâtés et adultes démissionnaires, lesquels adultes se
signalent par une absence totale d’autorité sur les jeunes, qu’ils
s’abstiennent de remettre au pas et auxquels ils n’ont semble-t-il fixé aucune
limite. Et tous les métros de hurler à la mort face à une situation qu’il
serait selon eux très facile de corriger puisqu’il suffirait aux parents de
parler de la grosse dent pour que les chenapans s’assagissent et se mettent au
lit de bonne heure.
Dans une famille mahoraise de sept, huit enfants et plus la
mère est très souvent seule à la maison. Elle n’est pas toute seule à être
seule puisqu’elle a avec elle sa mère et ses sœurs et ses tantes et les brus de
ses tantes et les mères des sœurs des cousines de celles ci, plus quelques
copines qui vont et viennent. La mère ne peut donc pas être partout. Elle s’occupe
de la partie administrative, inscription à l’école, recherches d’allocations, elle
fait les courses et prépare les repas, ce qui fait déjà pas mal et pour le
reste elle confie souvent et le plus naturellement du monde le soin et
l’encadrement de ses enfants aux autres femmes de la fratrie. La mère ne
démissionne pas, elle délègue. Le père de son côté est absent et s’il continue
à remplir le frigo après l’avoir acheté, s’il entretient sa voiture, s’il fait
le taxi pour toutes ces dames, s’il emmène les garçons à la mosquée dans les
occasions qui comptent et s’il les corrige rudement lorsqu’ils ont déshonoré la
famille alors personne ne se plaindra qu’il ne soit pas là plus souvent. Serait-il
plus présent d’ailleurs qu’on se demanderait vite, et à haute voix, ce qu’un
homme peut bien faire à être toujours fourré dans les jupes des femmes, lesquelles
n’hésiteront pas alors à le traiter de « sarambavi »* ce qu’aucun
homme n’acceptera volontiers. Le père ne démissionne pas il obéit à la loi des
femmes.
Dans ce contexte les enfants sont nourris, protégés, soignés
du mieux qu’il est possible. Des enfants on attend principalement qu’ils
n’apportent aucun déshonneur à la famille, c'est-à-dire pas de vol, pas de
viol, pas de comportement associal, marginal ou scandaleux. Pour tout le reste
les enfants se débrouillent.. Les filles sont surveillées et dorment à la
maison ; les garçons sont libres de leurs déplacements et dorment entre
amis. Les préoccupations des enfants ne sont pas celles des adultes, qui se
souviennent qu’ils ont été enfants, et qui se souviennent donc qu’ils ont
survécu aux épreuves sans en faire tout un plat, sans avoir besoin de cellules
psychologiques, sans trouver ni d’ailleurs sans rechercher de consolation
particulière. Les problèmes des enfants se règlent entre enfants et solliciter
l’appui d’un adulte c’est déroger aux codes et admettre un échec. Il en a
toujours été ainsi.
Quand dans un village il y a une douzaine de fratries
comptant chacune six à huit gamins les parents, souvent illettrés, ne peuvent
pas assumer leur éducation. Les codes de fonctionnement en société ne pourront
être transmis qu’au sein des classes d’âge et dans le cadre des
hiérarchisations croisées, horizontales dans une même classe d’âge et verticale
d’une classe à une autre. Cette hiérarchisation, bien que basée sur la pression
morale ou physique est peu violente puisqu'admise par l'ensemble des acteurs.
C’est elle qui va permettre à l’agression intra spécifique d’être inhibée sous
la forme de rites, très largement inconscients, qui seront à la source de toute
culture. Il est donc faux ici à Mayotte de parler de démission des
adultes ; il faut parler au contraire de soumission puisque les adultes ne
font que se soumettre à un ordre qui les a formés et au sein duquel ils ont
grandi.
Les gènes se transmettent par les parents et la culture se transmet par l’enfance. Image réductrice mais pas totalement fausse à Mayotte dont les enfants ne sont pas « gâtés » ; ils ont été éduqués ainsi par des adultes qui ont eux-mêmes été éduqués comme ça. On retrouvera donc chez bien des adultes les mêmes caractéristiques que chez les enfants livrés à eux-mêmes, à savoir un comportement immodéré et immature, peu de considération à l’égard d’autrui, sautes d’humeur fréquentes, incapacité à attendre une gratification. Ce dont se plaignent métros et journalistes c’est d’une différence culturelle. Pas simple à changer. Quelques familles, les plus instruites, les plus à l’aise financièrement, les plus ouvertes sur les autres cultures transmettent d’autres codes. Le changement ne peut venir que de l’accroissement du nombre de ces familles. Il va donc falloir du temps. Beaucoup de temps. Sauf s’il y a soudainement beaucoup plus d’argent et de travail disponibles. On peut toujours réclamer.
Les gènes se transmettent par les parents et la culture se transmet par l’enfance. Image réductrice mais pas totalement fausse à Mayotte dont les enfants ne sont pas « gâtés » ; ils ont été éduqués ainsi par des adultes qui ont eux-mêmes été éduqués comme ça. On retrouvera donc chez bien des adultes les mêmes caractéristiques que chez les enfants livrés à eux-mêmes, à savoir un comportement immodéré et immature, peu de considération à l’égard d’autrui, sautes d’humeur fréquentes, incapacité à attendre une gratification. Ce dont se plaignent métros et journalistes c’est d’une différence culturelle. Pas simple à changer. Quelques familles, les plus instruites, les plus à l’aise financièrement, les plus ouvertes sur les autres cultures transmettent d’autres codes. Le changement ne peut venir que de l’accroissement du nombre de ces familles. Il va donc falloir du temps. Beaucoup de temps. Sauf s’il y a soudainement beaucoup plus d’argent et de travail disponibles. On peut toujours réclamer.
* sarambavi :
éfféminé ; assez proche de drag queen
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