lundi 16 juillet 2012

travail de vacances


Puisque c’est la saison des vacances on va parler un peu du travail. Le dictionnaire nous en propose trois définitions. Pour la physique le travail est « une action progressive ayant un effet constatable ». J’écris ce texte, je travaille ; Je dessine, je travaille ; j’accroche mon hamac, je travaille. Tout ou presque est donc travail. Pour l’érudit le mot « travail » vient d’un instrument de torture en usage chez les Romains et il est donc normal de souffrir quand on travaille. Et si on ne souffre pas ce n’est pas du travail. Pour le philosophe enfin c’est « une activité de transformation de la nature, propre aux hommes, productrice de valeur ». Le philosophe fait donc fi du cheval ou du bœuf qui tirent une charrue ou une carriole. Ces animaux là ne travaillent pas ; ils jouent, sans doute. Et il faut qu’il y ait production de valeur, sinon c’est n’importe quoi mais pas du travail. Accrocher mon hamac par exemple n’est pas du travail ; non plus que dessiner puis de jeter si ce n’est pas bon, avant de refaire un autre dessin etc. Le format de ce billet étant très réduit on va rogner sur le philosophe, assommant comme tous les philosophes, et se concentrer sur ce que le mot travail évoque immanquablement, à savoir la valeur et la sueur.

Accrocher mon hamac ne produit aucune valeur sinon je le ferais plus souvent. Faire un tableau produit de la valeur, quoique pas suffisamment dans ce monde imparfait. Cultiver mon champ crée de la valeur ; cultiver le champ d’autrui aussi. Or à travail et torture identiques enrichir quelqu’un d’autre est plus pénible que s’enrichir soi même. Ordonner un travail, exécuter un travail. La lutte des classes commence là. La première distinction que je propose est donc entre travailler pour quelqu’un d’autre et travailler pour soi. Dans le premier cas on peut parler de labeur, mot proche de labour qui évoque une progression pénible et ahanante, les pieds dans la glaise et les yeux rivés sur le cul des bœufs tandis que dans le deuxième on parlera d’action, d’activité ou même d’ouvrage. Si je transpire lorsque je fais un tableau j’ai le droit de m’en expliquer mais pas de m’en plaindre ; si je souffre en enrichissant le profiteur j’ai le droit de me plaindre ET j’ai le droit de faire grève, ah que oui !

On aura remarqué que ceux qui parlent le mieux des vertus du travail sont ceux qui font travailler les autres. Les probabilités pour que le travailleur s’enrichisse par son travail, le fameux rêve américain, sont les mêmes que celles de gagner au Loto ; pour un qui s’enrichit il y en a cent mille qui parviennent tout juste à survivre. Et ça ne va pas s’arranger. Il faut donc que les employés travaillent plus pour que les rentiers/possédants gagnent plus. La première tâche des rentiers/possédants sera donc de rendre le travail obligatoire.
Chaque civilisation a élaboré ses propres moyens pour s’assurer que leurs masses seraient laborieuses. La liberté individuelle étant un songe creux en Chine  c’est à chacun des maillons que sera confiée la responsabilité de la solidité de la chaine. Le système de castes indiennes maintiendra à leur juste place les maîtres et les serviteurs. Chez les chrétiens le travail sera sanctifié, élevé au rang de commandement divin (pas de ventre plein sans sueur au front) ou au rang d’idéal humain ( « Arbeit macht frei », de sinistre mémoire). Celui qui ne travaille pas ou qui le fait avec répugnance sera au mieux un oisif (père de tous les vices), au pire un fainéant, coupable de péché capital ! Excusez du peu. Et comme la crainte de Dieu ne suffit plus guère à réguler les pulsions de notre siècle vaurien on a inventé l’endettement, qui n’est rien d’autre qu’un engagement à travailler encore et encore, ad infinitum, ad nauseam, et in mortem bien naturellement, pour le plus grand profit des détenteurs du capital financier. Leur plus grand profit ? Pas certain du tout puisque le système s’essouffle et se condamne lui même.

Et le Mahorais dans tout ça ?? Ni confucéen ni bouddhiste ni chrétien ; simplement individualiste, consommateur de fraiche date, goguenard, jouisseur, soucieux, comme chacun, de son confort et de celui de sa famille, traditionnellement enclin au laisser vivre, culturellement étranger à la culpabilité que devrait entrainer l’oisiveté ou l’indolence, rétif à toute forme de coercition, d’autant plus qu’il est chez lui, sur une petite île, au milieu des siens, lesquels ne lui donneront jamais tort,. Il est fainéant le Mahorais ou il fonctionne selon un autre système de valeurs ? Ah oui, c’est vrai, il est français et il a voulu le département. Qu’il se soumette donc, et qu’il travaille, à notre rythme, selon nos normes, ce même rythme, ces mêmes normes, ces mêmes valeurs qui ont façonné les destins des chômeurs de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne…, bientôt de la France. A Mayotte comme ailleurs l’oisiveté a de l’avenir. La goguenardise par contre…




(billet paru dans Upanga de juillet) et merci à Rubens pour la copie d'un de ses tableaux



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