mercredi 2 septembre 2015

Introduction





Peindre quatre panneaux sur le mur de façade de l’alliance française de Moroni ; un tableau par comore, eh oui, il y a bien quatre Comores, chacun de 2 m x 1,20. Le tout en trois semaines et demie. Et, dans la dernière semaine, accrocher 17 tableaux, de format plus réduit, dans une des salles de la même alliance. Voilà ce qui m’attend en septembre. Le titre de l’expo : « fini pas fini ».
Bien sûr je ne vais pas pouvoir tout faire en si peu de temps. J’ai donc fait des brouillons dans mon atelier de Mayotte. Quatre dessins de format identique que je vais décalquer avant de les emmener et de les reporter sur le mur de l’Alliance, ce qui me fera gagner cinq à six semaines de travail. Et m’évitera de passer pour un guignol aux yeux des spectateurs et trices comoriens qui me regarderont faire. J’ai un peu le trac il me faut bien l’avouer. Par exemple j’ai peur d’oublier quelque chose d’essentiel et quand on est aux Comores (les trois indépendantes), tout ce qu’on oublie est essentiel. Je travaille à l’ancienne ou comme un vieux, c’est selon, avec de la térébenthine, de l’huile de lin cuite, des siccatifs, des fusains, des pinceaux en poil de putois, de martre ou même de porc (!?) et on trouve ça où à Moroni ? A Anjouan c’est pareil bien évidemment et tout ce qui se trouve dans mon atelier de Mutsamudu est amené de Mayotte. Parce qu’à Mayotte,  c’est bien connu,  on trouve tout ce qu’on veut. Et ça c’est n’importe quoi puisqu’à Mayotte comme ailleurs dans l’archipel ils n’ont pas l’habitude de peindre à l’huile et tout mon matériel vient finalement de métropole ; peintures, pinceaux, diluants, fusains, etc. Ne rien oublier donc et venir avec tout, y compris la boite de conserve vide dans laquelle je mettrai le pétrole pour nettoyer les pinceaux, et les chiffons que j’utiliserai pour barbouiller ou effacer.
Je crains aussi l’inconfort. Il ne fera pas trop trop chaud en septembre mais la gestion de l’eau et de l’électricité est des plus approximatives aux Comores en général et à Ngazidja en particulier. A Ndzuani ils ne disposent pas de beaucoup plus d’argent mais il y est souvent possible de prévoir lorsque l’électricité sera coupée ou rétablie. Chacun sait par exemple que le courant reviendra dans la zone A après que la zone B sera délestée ; ce sera ensuite le tour de la zone C et ainsi de suite. On peut donc plus ou moins prévoir et s’organiser en conséquence. Rien à voir avec Moroni où les coupures sont parfois longues et toujours imprévisibles. Pendant le ramadan par exemple l’électricité irriguait Mutsamudu tous les jours de 18  à 22 ou 23 heures, souvent plus, alors qu’à Moroni si tu n’as pas ton propre groupe tu sèches sur pied. Idem pour l’eau dont je peux me passer quelques jours s’il s’agit seulement de me laver mais qui m’est indispensable pour nettoyer quotidiennement mes pinceaux.
La plus grosse crainte de toutes, la crainte mère pourrais-je dire, c’est de me déplacer et de travailler pour rien.
Après le bac j’ai fait une école de commerce. Ça ne se devine pas mais c’est ainsi. Et un jour, en début de je ne sais quelle année, un fringant prof de quelque chose d’essentiel, le marketing je crois, a résumé brillamment l’intérêt de sa matière ; « prenons deux vendeurs de chaussures ; l’un qui est niais l’autre qui est avisé ; tous deux se rendent en Afrique ou en Amazonie ou en Papouasie, bref dans une de ces régions où tout reste à faire. Pays chauds cependant, pour la commodité de la démonstration. Tous les deux constatent que les indigènes sont nu pied et ils en tirent leurs conclusions. Le niais, sans doute très laid également dira : « il n’y a rien à faire ici puisque tout le monde marche pieds nus ». L’avisé, notre préféré,  dira : « tout est à faire puisque tout le monde marche pieds nus ». En ce qui concerne la peinture aux Comores c’est un petit peu la même chose pour qui veut s’y faire entendre. Les comoriens dans leur ensemble n’ayant que peu d’inclination pour les tableaux on pourra ainsi soit tenter de les convaincre que la peinture elle est belle et elle est bonne, soit passer son chemin et aller exposer ailleurs. J’ai choisi quant à moi de m’accrocher aux Comores et c’est l’Histoire, petite ou grande qui dira si Marcel était un niais ou un précurseur.
Précurseur ? Il ne faut rien exagérer tout de même puisque d’autres avant moi se sont attelés à la peinture. Je ne peux les citer tous puisque je ne les connais pas tous mais je connais Chakri, je connais Dagenius, Modali, Napalo, Saindou,Seda, Soulé… cités par ordre alphabétique parce que la susceptibilité des artistes est une des plus hystérique qui soit. Depuis le temps que ces peintres travaillent, et certains sont bons, le marché de la peinture ne s’est pas vraiment développé dans aucune des îles et si bon nombre de comoriens demandent qu’on leur fasse leur portrait il ne leur viendrait pas à l’idée d’en acheter un. Mayotte elle-même, pourtant frottée à la civilisation et au bon goût depuis quarante ans ne fait pas exception, se comportant sur ce sujet comme ses sœurs voisines. Depuis 22 ans que je suis à Mayotte, c’est-à-dire dans les Comores, je n’ai vendu à des autochtones qu’une dizaine de tableaux, cinq d’entre eux par un Anjouanais. C’est à coup sûr une des raisons pour lesquelles j’ai aujourd’hui un petit faible pour Anjouan. C’est comme ça.

Alors donc pourquoi vouloir « convaincre » les Comores ? S’il s’y trouve si peu d’intérêt pour la peinture et si peu de possibilités d’en vivre, vouloir à toute force m’y faire une réputation c’est m’exposer à mourir de faim ou être ridicule, ce qui ne pardonne pas, aux Comores moins qu’ailleurs. J’aurai certainement l’occasion de revenir sur le sujet mais on peut déjà résumer en disant que je demeure et persiste à demeurer aux Comores pour deux raisons ; la première c’est qu’il y a effectivement un défi à relever en voulant installer le goût de la peinture dans une région où tout le monde s’en tape, la deuxième c’est que je n’ai pas le choix.

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