jours 2 et 3 et 4 et 5
dimanche 6 septembre 2015
Impossible
d’écrire quotidiennement cette semaine ; trop fatigué à la fin de la
journée. Trop seul aussi. Trop conscient de n’appartenir en rien à cette
société au sein de laquelle je vis depuis 22 ans. Travailler sur le mur de
l’alliance me fournit une bulle à l’intérieur de laquelle j’évolue en paix et à
l’abri du monde extérieur. J’y fais ce
que je veux comme je l’entends ; je n’ai pas à me soucier des
convenances ; je n’ai pas l’obligation de respecter les gens et les règles
que la coutume m’impose ; à l’intérieur de cette protection ma psychorigidité
redevient vertu et me permet même d’avoir accès à des trésors intérieurs
qu’elle me refuse lorsque je suis en contact avec le monde réel. Le monde réel me
contrarie en permanence, qu’il soit de France ou des Comores. « Rien n’est
jamais facile », me dira-t-on ; « il y a des difficultés
partout » ; bien sûr mais tout étant dit il demeure que le monde réel
ne m’intéresse que dans la mesure où je peux en tirer ce dont j’ai besoin pour
protéger ma bulle ou l’élargir. Ce qui est plus simple à Mayotte ou à Mutsamudu
où j’ai atelier, lit et habitudes, qu’à Moroni. Il me suffirait de vivre à
Moroni pour m’y sentir mieux, sans doute, mais pour l’instant c’est un peu plus
dur ici qu’ailleurs.
Depuis
vingt-deux ans que j’habite l’archipel je rêve d’être un point de perméabilité
entre la culture dans laquelle j’ai grandi et la culture comorienne. J’ai très
vite pensé, et, Dieu merci je le pense encore, que mon travail était un médium
privilégié pour ce faire. Je ne peins jamais pour vendre. Je peins ce qui me plait de la façon qu’il me plait et
ce n’est qu’après, une fois le tableau fini que j’accueille volontiers les
offres qui me sont faites. Mais lorsque j’expose ou travaille devant des
comoriens ce que j’espère de toute mon âme c’est pouvoir donner envie. Je n’ai pas envie de séduire ; j’aimerais que
mon travail le fasse pour moi. Et pour l’instant il ne se passe rien.
Routine.
Je commence à 8 heures, je déjeune en une demie heure et je travaille jusqu’à
seize ou dix-sept heures. Les dessins de mes quatre panneaux sont aujourd’hui
complètement calés. La semaine qui vient me verra rentrer dans les détails et
commencer à chercher mes lumières. Des glacis y pourvoiront. Ça avance surement, sans hâte ni surtout sans angoisse
excessive. Je suis très heureux d’avoir fait mes brouillons à Mayotte ;
c’était du temps bien utilisé. Les coups de pinceaux de ces derniers jours sont
plus rapides mais aussi plus justes et plus « économes ». Je n’en
suis pas encore aux façons chinoises ou japonaises mais je les pressens, du
moins par instants. Hiroshige, Hokusai ne
sont plus des phares lointains mais des tuteurs débonnaires. C’est tellement
paisible que j’en suis à me demander si mes brouillons poussés ne vont pas
devenir une habitude. Plus long certes mais peut-être bien meilleur. « Mais
et la spontanéité dans tout ça ? » m’objectera-t-on. Tout ça parait
très réfléchi, effectivement, mais la spontanéité n’a pas sa place partout ni à
tous les stades de l’exécution d’un tableau. Elle est là au moment de
l’ébauche, lorsqu’on recherche la composition, lorsque l’on met, lorsqu’on
élimine, lorsque l’on suit son goût ou son inclination. Tout le reste est
travail. La perspective est travail, l’anatomie, les proportions sont travail
et personne ne peut en faire l’économie.
La
semaine de peinture se termine et on continue à me foutre une paix royale.
Personne ne s’intéresse vraiment à ce que je fais mais ce que je remarque ici ressemble
très fortement à ce que j’ai mille fois remarqué à Mayotte. Quelques
constatations en vrac.
Quatre-vingt-quinze
pour cent des gens qui passent devant le mur sont noirs et à peine cinq pour
cent sont blancs. Certains s’arrêtent ; beaucoup ne s’arrêtent pas.
Sur
dix wazungu qui s’arrêtent six ou sept sont des femmes, trois ou quatre sont
des hommes.
Sur
dix noirs qui s’arrêtent, neuf sont des hommes ; peut-être neuf et demi.
Si
les passants sont des blancs, hommes et femmes feront un sourire, diront
bonjour, feront un compliment et échangeront plus ou moins.
Sur
dix comoriens qui s’arrêtent sept ou huit vont faire un sourire, un bonjour
ou/et un compliment. Même si je ne croise pas leur regard. Si j’y suis disposé
il pourra y avoir échange.
Sur
dix comoriennes qui s’arrêtent, une fera un sourire et/ou un compliment ;
rarement les deux. A condition que nos regards se croisent.
Qu’ils
soient sur le trottoir de l’alliance ou de l’autre côté de la rue les hommes
vont s’arrêter quelques minutes, intrigués et vont regarder ce qui se passe.
Les femmes vont jeter un œil rapide tout en continuant à marcher.
Les
gens simples s’arrêtent, bavardent et sourient plus volontiers que ceux
(celles) qui conduisent des 4x4.
Peu
de différence entre les jeunes hommes et les plus vieux, sinon peut-être que
les jeunes se marrent davantage.
Quelques
conclusions, en vrac elles aussi.
Les
femmes blanches s’intéressent plus à la confection d’un tableau que leurs
hommes. Les comoriens s’y intéressent plus que leurs femmes.
Différence
culturelle ? On est en plein dedans. Le comportement que la société comorienne
exige de ses membres est à coup sûr différent de celui qu’impose la métropole
mais c’est probablement l’idée même de beauté ou d’esthétique qui diffère
fondamentalement. D’un sexe à l’autre et d’une société à l’autre. Et se repose
alors la question de la perméabilité que j’aimerais bien incarner. Qu’est-ce
que je fous ici ? Et si j’ai raison de m’entêter le saurai-je de mon
vivant ?
Décidément
je n’aime pas les dimanches.
4 commentaires:
Merci, Marcel, pour cette chronique régulière de ta fresque de l'Alliance Française de Moroni. Heureusement pour tes lecteurs qu'il y a ces dimanches qui t'empêchent de peindre. Je me retrouve beaucoup dans ce que tu écris sur ta situation d'étranger aux Comores et cette "perméabilité" que tu aimerais bien incarner.
J'apprécie beaucoup la manière dont vous peignez les chose
j'aimerais en être capable de faire de même avec la peinture.
vous habitez Chiconi je crois; passez à l'atelier un de ces jours et on discutera. tél: 0639676875
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