lundi 3 novembre 2008

Qu'en penseraient les Mahorais si j'étais noir?

article 30



Je ne suis pas certain que ça leur plairait tant que ça.

Ils commenceraient par me demander d’où je viens. Ils me demanderaient ensuite ce que je cherche.
D’où je viens ? Pas des Comores assurément et encore moins de Mayotte. A aucun moment de sa vie le Comorien n’est seul et personne ne l’y encouragera jamais. Les Comores n’ont pas le privilège de la pression sociale et partout dans le monde, et à toutes les époques, les groupes constitués ont fait pression sur leurs membres pour qu’ils ne sortent pas du discours établi, pour des raisons de survie vraisemblablement, chaque défection entraînant un affaiblissement du groupe et chaque déviance en suscitant la crainte. Le groupe commence avec la sphère familiale, premier ensemble capable de conférer à chacun de ses membres une force qu’ils n’auraient jamais seuls. C’est cette pression là qui est la pression originelle, d’où le provocateur « familles, je vous hais » de Gide.
Si chaque individu possède naturellement son regard propre sur le monde l’artiste sera celui qui tentera de concrétiser ce regard, de le rendre perceptible à d’autres que lui et, dans le cas des artistes plasticiens, de plier la matière aux exigences de sa vision. Dans une société où tout le monde s’exprime avec les mains le manchot est bien embêté. Il lui faudra du temps, des efforts, et une attitude toute personnelle pour mettre en place un moyen de communication exprimant ses désirs et ses sentiments. Dans une société ou tout le monde parle celui à qui la parole ne suffit pas pour dire ce qu’il a à dire utilisera d’autres moyens, l’écrit par exemple et devra passer quelque temps seul avec ce dont il dispose pour présenter un langage qui le « dise » à la place du langage utilisé par son entourage. C’est dans cet espace là que se situera la solitude de l’intellectuel ou de l’artiste, un peu comme ces boyaux sombres et angoissants dans lesquels se faufilent et se contorsionnent les spéléologues avant de déboucher dans des salles plus vastes. La création est solitaire mais cette solitude là fait partie de la vie de l’artiste et nul ne peut véritablement ni s’y soustraire ni s’en plaindre. Mais si le dramaturge, le chorégraphe, le musicien sont seuls lorsqu’ils composent et créent leurs œuvres, la concrétisation de leurs représentations esthétiques se fait devant un public et le plus souvent par le biais d’un groupe. Rien de tel pour l’écrivain (et surtout le poète, le plus fou d’entre les littérateurs), ou le plasticien qui restent seuls lorsqu’ils sont exposés et dont les œuvres, pour devenir outil de communication, ne requièrent qu’un seul lecteur ou qu’un seul spectateur. Les individus pour lesquels le langage commun ne suffit pas sont rares. Ceux qui s’attèlent corps et âme à la tâche consistant à inventer leur propre expression (appelons ça « création ») sont plus rares encore. Et ils le seront d’autant plus dans les sociétés où la pression d’être conforme est forte. Laquelle pression variera en fonction de la taille du groupe (plus il est restreint plus ses codes seront coercitifs) et de sa propre culture. « Nul n’est prophète en son pays » entend-on dire un peu partout en occident ; ce dicton prouve bien que la pression sociale n’est pas un trait uniquement comorien et qu’elle s’exerce partout et à toutes les époques mais ce qui caractérise les Comores en général et donc aussi Mayotte c’est qu’ici les deux types de pression se conjuguent de façon indissoluble. La pression culturelle qui vient de deux courants principaux, à savoir l’Islam et l’africanité des Comores va se trouver terriblement renforcée par la taille des quatre îles, à jamais inextensibles, créant ainsi un maxi carcan pour un mini pays et rendant plus difficiles et plus improbables, à l’intérieur de l’archipel, l’émergence et le développement de personnalités hors normes et acceptées comme telles.
Jules Renard disait : « les gens raisonnables voient le monde tel qu’il est et s’en accommodent ; les gens déraisonnables voient le monde tel qu’il est et, ne s’en accommodant point tentent d’y changer quelque chose. Le monde ne pourra donc être changé que par des gens déraisonnables ».
Aux Comores les gens déraisonnables ont moins de facilités qu’ailleurs et ça finit par être pesant, n’est-ce pas Soeuf ?

A suivre…


P.S. Pour le lecteur (anonyme) un peu prompt à affirmer que je ne peins que des noirs (et un peu accusateur avec ça…), prêt également à considérer qu’un racisme efface un autre racisme, ces deux petits portraits qui devraient l’inciter à plus de prudence. Le portrait de la petite fille n’est pas terminé.



Vernissage le mercredi 12 novembre, à 18 h 30, au M'Biwi café, de dix-huit petits tableaux

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