dimanche 9 novembre 2008

Qu'en penseraient les Mahorais si j'étais noir? (2)

article 31

L’Islam interdit la représentation divine, ce qui n’est sans doute pas plus bête que de représenter Dieu avec une grande barbe, vautré sur son nuage comme Mahoraise au marché, entouré par une kyrielle d’anges gironds mais asexués, et, sans la mettre explicitement à l’index, n’encourage guère la représentation du réel, qu’il trouve au mieux inutile (comment peut-on faire mieux ce que Dieu a déjà parfaitement fait ?!), au pire dangereuse. L’artiste en effet ne se contente pas de représenter, cela n’importe quel appareil photographique peut le faire, mais il interprète, ce qui lui donne une voix à lui, une voix toute personnelle qui lui permet de proposer à autrui sa propre vision du monde et qui lui donne donc un pouvoir que toute bonne religion a le devoir de surveiller. C’est ainsi que dans les pays musulmans, et cela quel que soit leur degré d’orthodoxie, on constate que l’image « prise » (photos, vidéos, films) est tolérée, au contraire de l’image « faite » (dessin, peinture, sculpture) qui suscite les pires méfiances.
Je soupçonne qu’au départ l’Afrique, réaliste et lucide selon son naturel et bonne enfant selon son habitude, étant indifférente à la représentation du réel, se contentait de vivre avec lui du mieux qu’elle le pût. Représenter le réel n’intéresse pas beaucoup l’Africain. L’évoquer, au travers de représentations stylisées et symboliques lui suffit largement pour entrer en contact avec l’ « âme » des choses et des gens. Si bien que lorsque l’Islam est arrivé avec son cortège de réticences ou d’interdictions ces dernières ont été acceptées comme allant quasiment de soi, là n’étant pas l’important.
La taille de l’archipel (un tiers de la Creuse) ne va rien arranger, bien au contraire. Un pas décisif vers la compréhension des Comores aura été fait si on se souvient (pour les plus âgés d’entre nous) comment fonctionnaient les habitants d’un village, au temps où un village était capable de vivre en unité presque fermée, où il y avait peu de voitures et pas de télévision. Ploucs de tous les pays reconnaissez-vous ! Ici, et bien évidemment à l’intérieur de chacune des îles tout le monde connaît tout le monde et tout le monde surveille tout le monde. Dans « Moroni blues » (Bilk and Soul) et dans « Une suite à Moroni blues » (éditions de la lune) Mr El Badawi l’expose magistralement et démonte les mécanismes qui, valables pour Moroni, le sont tout autant pour chacune des quatre Comores. Hors de la norme point de salut.
Déjà contraignante sur l’adulte cette pression va être intolérable sur l’enfant, en particulier pendant les années où se fait normalement tout apprentissage, entre neuf et quinze ans, puisque la pression du groupe se surimposera à celle de l’adolescence, laquelle tolère mal le moindre signe d’originalité, souvent confondue avec la déviance.
A cela s’ajoute, autre caractéristique comorienne, et pas la dernière en importance, la structure matriarcale qui rend la mère toute puissante et interdit à l’enfant ou à tout le moins ne facilite en aucune manière la révolte que celui-ci doit nécessairement vivre pour pouvoir ensuite s’attacher à une figure moins confortable, moins normative mais plus dirigiste, souvent une figure mâle, capable de lui imposer et de lui faire accepter la discipline nécessaire à tout apprentissage. La discipline ne se résume pas à l’adoption d’un code ; il n’y aurait là que formatage, lequel est effectué dans la petite enfance, le plus souvent sous la direction de la mère et ici plus qu’ailleurs. La discipline, sans laquelle aucune construction ne peut harmonieusement être menée à terme suppose l’inscription de l’effort dans la durée, suggère qu’on attende avant d’avoir des résultats, impose l’effort longtemps avant la récompense et ce ne peut guère être le rôle de la mère, trop habituée à réconforter dans l’instant. Il existe pourtant des exceptions, qui surprennent, comme toutes les exceptions, qui ravissent comme les exceptions rares, et qui donnent à rêver, comme tout ce qui est prometteur. Je pense à Modali qui est comorien, qui est un maître, et auquel personne ne jette de pierres peut-être parce que, bien que le pratiquant fort bien, il a abandonné le figuratif.

A suivre…

1 commentaire:

lunembul a dit…

Je ne connais que très peu Mayotte et encore moins les Comores.
Aussi, je fais part d'étonnement, lorsque vous dites que la mère (comorienne, j'imagine) ne peut pas inculquer la discipline, au sens où vous définissez ce terme. Je n'en suis pas si sûr, au moins en ce qui concerne les transmissions entre femmes.

Ce qui me frappe, beaucoup parce que je le découvre en ce moment, c'est la quasi absence du père dans de très nombreuses familles ou plutôt son inconsistance.


Si vous étiez noir (vous voulez probablement dire "si j'étais noir tout le temps" puisque les photos démontrent que vous l'êtes parfois), si vous étiez noir vous auriez peut-être envie de conquérir l'Europe... étouffé par la famille africaine, plein de l'envie de partir, l'énergie que je vous devine vous aurait poussé loin là bas.
Et vous écririez "si j'étais blanc...".
En attendant, blanc, noir, j'aime ce que vous faites.