vendredi 15 mai 2009

Marcel il est gentil


Marcel il est gentil.



J’aurai au moins gagné ça.

« Mais l’émotion ! Marcel ; l’émotion !... Elle est où l’émotion ?? »

Derrière son micro Mademoiselle Abassi s’agite. Paupières et cils, tête toute entière, épaules, mains surtout, poitrine, et fessier sans doute, sur la chaise du studio, tout s’est mis à bouger, vite et sans prévenir.

« Votre coq par exemple ! Là où il est il fait quoi ? Elle est où l’émotion dans ce tableau ?! Un coq ça chante !»

Mademoiselle Abassi n’a pas aimé non plus les femmes du Debba ; les mains ne sont pas en "synchronicité" et « …elle est où la ferveur religieuse dans ce tableau ?? »

L’émotion encore et toujours, celle qui manque et qui fait qu’on s’agite quand elle n’est pas là. Sans cette émotion mes tableaux sont gentils et moi avec par la même occasion.
Ils sont gentils les tableaux du Marcel.
Mièvre. C’est le mot qui compte. Mes tableaux sont-ils mièvres ? Mes écrits et moi-même ne le sommes pas. Pourquoi mes images le seraient elles ?

Quel est l’intérêt de représenter le sordide ? Quel est l’intérêt de représenter la réalité toute entière ? Dans la réalité je choisis ce que je veux. Et ce que je veux ne correspond pas à ce que veut Mademoiselle Abassi. Moi je trie pour faire joli ; Elle, elle choisit l’émotion. Elle a le droit. Mais son émotion provient du réel ; pas d’un arrangement de celui-ci, surtout si l »arrangement est destiné « à faire joli ». Là les tableaux deviennent gentils. Voire mièvres

On me l’a déjà dit. Une Anjouanaise, un soir à Nantes. Tout le mépris du monde dans ses yeux. J’étais pis qu’un valet ; un esclave peut-être. . Je servais le beau, j’étais donc servile. Une Anjouanaise de Mutsamudu, une aristocrate. Poil aux pattes.

Rendre belle la réalité est perçu comme un mensonge voire une veulerie.
Je sais la différence entre joli et mièvre. Vermeer est joli, d'aucuns même diraient beau ; Greuze est souvent mièvre. Millet est limite limite et Franz Hals n’est jamais ni mièvre ni cu-cu, bien que tout le monde sourie toujours sur tous les tableaux qu’il a peints. Même son chien a l'air de passer un bon moment. En me rabaissant ainsi l’aristocrate Mutsamudienne exprimait sa rage que l’on trouvât beau et présentable ce qu’elle-même haïssait puisque n’y pouvant vivre. Il y a de l’envie et de la jalousie là dedans.
D’une Mutsamudienne également, mais courtoise celle-là, qui me disait que les rivières et les lessives qu’on y faisait "n’étaient pas aussi bien que ça. Loin de là!"Pas de mépris dans sa voix. Une trace de regret, de nostalgie ? Pas la moindre, sinon dans mes fantasmes. La recherche du beau et le soin qu’il exige ne confèrent ici, à Mayotte et probablement aux Comores nulle reconnaissance particulière. Nulle « émotion » pour citer Mademoiselle Abassi. Embellir le réel est une perte de temps. Un amusement dont on s’étonne qu’il puisse entretenir son homme.

C’est donc la notion de ce qui est beau qui varie d’une culture à une autre, ce qu’on savait déjà, mais, et on va dire que je radote, si tel est le cas, quel peut bien être l’intérêt d’avoir et d’entretenir des professeurs d’arts plastiques ? Au prix que ça coûte!

Sinon ça va. L’expo de juin se prépare en douceur. Celle en cours m’a valu une pleine page dans Mayotte hebdo, celui qui l’est bon celui qui l’est beau en plus de contacts renoués et de rencontres prometteuses. Histoire à suivre.