vendredi 4 juillet 2008

féminisme et matriarcat





en illustration: études pour la lessive de femmes fières et chaloupées.

Lu dans "Le Mahorais" de cette semaine.

Je cite: "Mon indice d'optimisme se résume à quelque chose de très simple: il suffit que je regarde la démarche des femmes mahoraises, le front haut, le menton relevé, fier, le regard fixé sur l'horizon comme pour y cerner l'avenir de leurs enfants. Elles voient loin, très loin et pourtant leur pas demeure africain, calme, serein, chaloupé, ce qui me fait dire et penser que notre société n'est pas menacée par la modernité."

Ces propos un peu niais ont été livrés par un départementaliste pur et dur qui croit que l'avenir de Mayotte sera plus radieux si la Comore du Sud devient un département. Un départementaliste inspiré par la démarche des femmes de Mayotte donc, qui a milité, qui a même été député, un des tout premiers, à une époque où personne ici ne savait comment ça s'écrivait. Un Mzungu, et la remarque a son intérêt puisque pas un Mahorais ne verrait un quelconque espoir de s'enrichir à partir du regard de ses femmes fixé loin sur la ligne bleue du lagon ou sur la chaloupinante façon dont elles se déplacent.

A très peu de choses près j'aurais pu dire la même chose. A la place de "mon indice d'optimisme" j'aurais dit, quant à moi, "mon indice de pessimisme", et tout le reste aurait été pareil, persuadé que je suis que les différences culturelles fondamentales sont souvent intéressantes, parfois enrichissantes, mais TOUJOURS inaliénables. Curieux tout de même ces façons opposées de lire le quotidien. Je vois tous les jours les mêmes femmes que ce pontifiant juriste, je vois tout comme lui comment elles se déplacent, drapées dans leurs voiles, majestueuses, lourdes et imposantes comme des vaisseaux de ligne. Comme je vais sans doute faire mon marché plus souvent que lui je vois comment ces commères regardent le chaland qui passe, les yeux regardant loin, très loin en direction du chaland suivant et de son pouvoir d'achat. Je les vois, ces mêmes commères, qui traînent, littéralement, leurs enfants à l'école, les yeux toujours fixés sur quelqu'horizon lointain et pour toujours inaccessible, insensibles aux pleurs et aux angoisses de leur progéniture.
Insensibles? Sans doute que non. Certainement pas probablement, mais ici la sensibilité ne se dit pas; elle ne se fait pas voir; elle ne s'exprime pas. C'est une preuve d'éducation laxiste et relâchée. Ça ne se fait pas. Pas de ça ici. Pas dans ce futur département qu'est Mayotte. Et c'est la même chose dans les autres Comores. C'est comme ça. Denam'neyo. Ici un enfant n'appartient pas à sa mère mais à toutes les mères de la famille élargie. C'est une voisine qui me l'a dit, et ne me l'aurait-elle pas dit que j'aurais pu le deviner à leur façon d'agir. L'enfant passe d'une mère à l'autre sans que quiconque, et l'enfant moins que personne n'y trouve à redire. Ça dure depuis longtemps, et ce n'est pas près de s'arrêter. Ah que voilà un bel "indice d'optimisme" pour la départementalisation à venir.
C'est qu'elles sont dures nos Mahoraises au regard chaloupé. "Les femmes les plus têtues auxquelles j'ai jamais eu à faire", dixit une sage femme de Médecin du Monde, travaillant en brousse, qui en avait pourtant connu des têtes de lard dans ses pérégrinations professionnelles. Plus dures que les Palestiniennes, plus dures que les Kurdes, plus dures que les Afghanes, plus dures que les Meusiennes, oui! plus dures que les Meusiennes! On est dans le dur de chez dur.

Bien naturellement les Mahoraises ne sont ni plus ni moins dures que nos Meusiennes à nous, mais elles ne vont pas montrer leur plaisir; ça ne se fait pas. Elles ne manifesteront pas non plus leur affection; ça ne se fait pas non plus. Ni ne consoleront un enfant en public, ni ne tiendront la main de leur amoureux; que dirait-on d'elles?! Elles ne courront pas ni ne marcheront vite, parce que marcher vite n'est pas digne d'une femme. Et rien n'est plus codifié que le port de tête. On ne doit pas la tenir à deux mains, ni même s'y appuyer sur une main, on ne doit pas la tourner brusquement, surtout si on vous parle, on ne doit pas marcher les yeux baissés, on ne doit pas on ne doit pas on ne doit pas... sous peine d'être marquée, commentée et jugée. Alors, aliénées nos consœurs? Conditionnées, oui, "culturalisées" bien sur, mais "aliénées"??? J'ai soixante ans bientôt, ce qui n'est plus tout jeune mais pas si vieux, et je me souviens de ma mère qui ne serait JAMAIS sortie sans se couvrir la tête d'une pointe d'étoffe. Si aliénation il y a elle est partagée par tout sujet de culture. C'est un peu trop pour qu'on parle d'aliénation.

Nos Mahoraises sont aliénées nous disent les wazungu; soit. Mais qui donc les aliènent? Les hommes? Ceux là dont les mêmes wazungu bien pensant nous disent qu'ils ne sont pas assez présents à la maison. Ces "aliénations" sont d'ordre culturel, et sont donc imposées par les mères. Une chose que les wazungu oublient, et qu'ils oublient d'autant plus volontiers que la réalité bouscule leur sens du politiquement correct, une chose qu'ils oublient donc, c'est qu'aux Comores nous ne sommes pas dans quelque femme-ilistère à la Fourier mais dans une société de type matriarcal, et ce ne sont pas "les femmes leader de la vie mahoraise" qui me contrediront. C'est à dire une société où la femme a peu de droits mais où la mère les a tous. Parler sous ces latitudes de l'aliénation de la femme est une stupidité tant qu'on n'aura pas pris en compte la toute puissance de la mère africaine. Et ici on n'est pas en Meuse ni dans un quelconque département français. Serait-on dans le 101ème département qu'on serait encore et toujours en Afrique. Les différences sont culturelles, et donc à ce titre irréconciliables, et c'est très bien comme ça. L'Occidental se préoccupe de la femme tandis que l'Africain ne jure que par la mère.
Eu égard à l'histoire et à la nouveauté que représente le féminisme, dans une société dont la richesse et la puissance sont elles aussi nouvelles et somme toute fort peu représentatives du reste du globe, j'incline à penser que les valeurs matriarcales des Africains sont un élément plus sur, et surtout plus fondateur que nos lubies féministes, lesquelles procèdent vraisemblablement de nos peurs de "Big Mother" et ne peuvent s'exprimer que parce que nous sommes riches. Que l'Occident redevienne pauvre, et ça nous pend au nez, et la femme disparaîtra pour laisser à nouveau la place à la mère.

Mais voilà; nous sommes tout puissants et avons donc la fâcheuse tendance à croire que nos rêves correspondent aux besoins du reste des hommes, et on en arrive à dire des bêtises comme celles énoncées par notre suffisant satrape, ou par ce lunembul, lecteur de mon blog, qui ne me connait pas, ne m'a jamais vu ni entendu, qui ne sait rien de moi mais qui n'est pas gêné le moins du monde pour me traiter d'irrécupérable. Un enseignant je parie.

Bon, c'est comme ça. Denam'neyo

Et puisque je n'ai pas eu de réponse intelligente à ma dernière question, je la pose à nouveau: "quel commentaire les Mahoraises font elles à propos de mon tableau "la lessive"?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'imagine qu'elles demande au peintre : "Mais comment avez-vous fait pour saisir aussi bien l'ambiance de la lessive à la rivière" et versent une larme pour cette activité qu'elles ne pourront bientot plus faire.