jeudi 31 juillet 2008

Où l'on voit ce qu'est un dilemme mahorais, où l'on voit aussi qu'il est désormais d'actualité, et où l'on parle à nouveau de départementalisation


Article 15







Il est quinze heures et sur le terrain du stade, juste de l’autre côté d’un de mes murs, un enfant hurle. Pas un long hurlement de souffrance comme le serait celui d’un enfant piqué par une scolopendre, pas un hurlement de colère comme ceux de la petite voisine lorsqu’elle n’obtient pas ce qu’elle veut, pas un long et aigu hurlement de terreur comme on en entend à la télévision, non, un hurlement à hoquets, à saccades, à staccatos, à respirations profondes et haletantes, avec de longs espaces de temps à autre, espaces si longs qu’on se demande si tout ne s’est pas brutalement arrêté, si le hurlement n’était pas l’effet d’un hasard, avant qu’un autre cri ne jaillisse, plus fort plus strident plus insupportable que le précédent. Un cri d’enfant que l’on bat. Et pas qu’une fois. Excédé, inquiet, presqu’en colère, je monte sur le parpaing placé là qui me permet de voir les joueurs de foot en liesse après un but marqué, les lavandières des samedis et dimanches matin, les jeunes gens qui fanfaronnent devant les jeunes filles qui minaudent, les chèvres qui broutent et les enfants battus. Jamais encore je n’avais été attiré par ce genre de cri. J’avais entendu les hurlements du stade, des invectives, des injures, des borborygmes de saoulards qui auraient mieux fait de se taire et d’aller dormir, des cris d’enfants ayant perdu leurs sœurs, leurs frères, leur ballon ou tout ça à la fois, mais jamais encore de cris d’enfant battu. Ils sont là, à dix mètres, juste en bas de la butte, un adulte de vingt-cinq-vingt six ans, qui tient serré dans la main droite le poignet d’un garçon de sept ou huit ans, et qui agite férocement une badine ou un brin d’herbe folle dans sa main gauche, devant trois autres enfants plutôt goguenards, dont la sœur aînée qui fait la leçon à son petit frère, façon schtroumf à lunettes, qui le tance, le sermonne et encourage l’adulte frappeur, lequel, renseignements pris, est l’oncle du gamin, ou son cousin, ou son demi frère, ou le frère du cousin du deuxième mari de la tante de sa mère, bref, quelqu’un de la famille.
Je fais quoi moi ? Je téléphone à la DASS ? Au commissariat ? A la Cour européenne des Droits de l’Homme ? A François Bayrou ? A Brigitte Bardot ??
Je suis très embêté tandis que s’installe le dilemme dont je parlais plus haut. Mon café est prêt, mon travail m’attend et je HAIS le spectacle d’un enfant frappé et les hurlements qui vont avec. Je m’en sors comment ?
A partir de là il nous faut moduler. Battre un enfant c’est non ; le corriger c’est oui. La différence entre battre et corriger n’est pas si difficile à faire. Corriger c’est claquer une fois, deux à la rigueur, et battre c’est corriger plus souvent, très souvent, plus souvent en tout cas qu’il n’est nécessaire de le faire pour corriger un enfant, lequel, s’il est corrigé tôt et fermement s’adaptera tôt et évitera les claques.
Du haut de mon parpaing je vois l’adulte qui lève à nouveau le bras, le petit qui se recroqueville et hurle de plus belle, la grande sœur qui admoneste, les frères et cousins qui se marrent, puis le gamin s’échappe, tout le monde court après, je ne vois plus rien et le paisible brouhaha de la vie quotidienne enveloppe le quartier comme avant et je peux me remettre à travailler.
C’était avant-hier.
Aujourd’hui ça recommence. Selon mes critères l’enfant cesse d’être corrigé pour devenir un enfant battu et toute mon harmonie si chèrement acquise et si égoïstement défendue s’écroule. Je téléphone à la DASS ? A Sandragon ? Etc. etc.
Pour commencer je me renseigne, et j’apprends alors simultanément trois choses. La première c’est que le gamin est corrigé avec l’accord plein et entier de sa mère, laquelle aurait administré les verges elle-même si elle avait été là, et si son embonpoint lui laissait la vitesse suffisante pour attraper le lascar. On ne parle pas du père, qui n’habite pas loin mais qui n’est là que pour les cérémonies religieuses, et qui au demeurant n’a pas besoin d’être là puisque la mère y est. La deuxième chose qu’on m’apprend c’est que le môme hurle sitôt qu’il voit qu’on va le battre, ce qui n’est pas rare chez les enfants, et c’est vrai qu’il n’a aucune marque ni sur les jambes ni sur la figure. Et la troisième chose c’est qu’il est persécuté parce qu’il ne veut pas aller à l’école coranique, et là, franchement, devant toutes ces réponses, ma question fondamentale a cessé d’être « que dois-je faire ? » pour devenir « dois-je faire quoi que ce soit ? »
Car après tout je suis qui pour intervenir, donner des conseils ou simplement exprimer mes états d’âme ? Je ne suis ni de la même famille ni de la même religion. Je n’ai aucune autorité pour dire quoi que ce soit et m’y essaierais-je que le voisinage tout entier me dirait que ce qui me reste à faire c’est de continuer à barbouiller mes couleurs en ne m’occupant de rien, sous peine, vraisemblablement d’avoir mes pneus crevés.
Et cela au moment même où les législateurs de la République, le Conseil d’Etat trottinant à leur suite, envisagent d’interdire le port de la burqua.
Première question (il y en aura d'autres): peut-on, dans cent départements de la République, interdire le port de la burqua et autoriser la flagellation, même légère, d'enfants qui ne veulent pas se rendre à l'école coranique dans le supposé futur cent unième département?
Doit-on, à Mayotte, laisser les mères autoriser le premier tuteur venu à frapper leurs enfants? Doit-on, et selon quelles justifications, interdire le port de la burqua? Ne pourrait-on fouetter les hommes qui imposent le port de la burqua à leur femme? Ne pourrait-on fouetter les mères qui imposent le port de la burqua à leurs filles? Ou celles qui imposent à leurs fils d'imposer le port de la burqua à leurs femmes? Ne pourrait-on fouetter les fouetteurs d'enfants qui ne veulent pas se rendre à l'école coranique?
Tant que ces questions se poseront, Mayotte sera-t-elle "départementalisable"?

Aucun commentaire: