mercredi 6 août 2008



Moi qui, il y a peu, disait du « Monde Diplomatique » qu’il m’accablait, je tiens à faire ici amende honorable puisque jamais jusqu’à ce jour aucun numéro ne m’aura autant ravi. Je conseille à tous ceux qui lisent mon blog d’acheter le numéro d’août et d’aller tout de suite en page 22 lire un article qui s’intitule :

Qui fixe la valeur d’une création ?
L’Art (contemporain) de bâtir des fortunes sur du vent

Un régal. Plus que la lettre de Guy Mocquet, c’est cet article là que les profs d’arts plastiques devraient lire en classe, obligatoirement, au moins une fois par mois. Entre autres belles lignes, celles-ci : « Car le marché… contamine, à force de médiatisation, les amateurs d’art et les conduit à développer des réflexes spéculatifs. Ils écoutent plus qu’ils ne regardent… » Tout est dit. Triste époque.

Cet article tombe à pic parce que j’étais dans un creux récemment. Creux classique au demeurant, que connaissent tous les artistes ou même tout simplement tous les travailleurs indépendants, à savoir : « mon travail vaut-il la peine ? est-ce que ça vaut la peine ? vaux-je la peine ? « Que du déjà vu ; n’insistons pas.
Offrons nous un peu d’air ce soir avec les quatrains de Baudelaire qui nous décrit ses phares. Baudelaire était un critique d’art très pointu. Il encensait Vermeer (une preuve de goût et d’intelligence), et méprisait Millet, qui ne mérite pas autant de dédain, mais bon, quand on s’appelle Baudelaire on a droit à quelques extravagances. Huit peintres étaient ses « phares ». Rubens, de la chair, des fesses, des fesses et de la chair ; Léonard, les anges, l’ombre, le charme, et, sous la douceur, une obstinée rigueur ; Rembrandt dont on a dit qu’il fut maître de la lumière alors qu’il ne s’attachait qu’à maîtriser les sombres ; Michel-Ange, dur au mal, dur au travail, casse-couilles et magnifique ; Puget, attachés aux humbles, Coluche sans humour ; Watteau, qui traite le sérieux avec légèreté, un aristocrate ; Goya, gros lourd et qu’on imagine volontiers grossier et pétomane, mais qu’un chien perdu devait faire pleurer ; et Delacroix, trait d’union entre l’occident et l’orient parfumé, languide et sauvage, jusque dans la mort avec Sardanapale.
Baudelaire a oublié Raphaël, annonciation colorée de Mozart, mort dans sa trentaine, comme Van Gogh, Lautrec ou Modigliani, et qui peignait dit-on avec la Fornarina sur les genoux, ce qui valait bien l’opium de Baudelaire. Et il en a oublié un autre aussi, dont je vous ferai la surprise. Mais pour ce soir, place aux quatre premiers.

Rubens, fleuve d’oubli, jardins de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse,
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère apparaissent à l’ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ;

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d’un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,
Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits,
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leurs suaires en étirant leurs doigts ;

La suite demain.

PS Un amical bonjour à Jorge

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