dimanche 7 septembre 2008

Ramadan


Ramadan



C’est la saison. Tout le monde se précipite pour rentrer chez soi avant 18h 30, fin officielle du jour, lorsque le muezzin ou le haut parleur qui le remplace appellent à la prière après laquelle le jeune sera rompu. Beaucoup de mahorais ont jeûné et beaucoup ont bu ou fumé en douce mais rien sur les routes de Mayotte, à 18 h ne distingue le vrai croyant du vrai faussaire. Tous conduisent comme des malades, encore plus que d’habitude, pressés qu’ils sont de rentrer chez eux où les attend le dîner, meilleur qu’à l’ordinaire, préparé par l’épouse restée à la maison. Et si l’épouse travaille ? La mère ou la sœur ou la cousine ou l’anjouanaise auront préparé le dîner festif composé de toutes sortes de choses, riz, manioc, fruit à pain, viande, poisson, volaille, samossas ; rien à voir avec le dîner habituel composé d’un plat de viande ou de poisson accompagné de riz. Les rues de Mamoudzou, congestionnées à cette heure là, sont presque vides et les seules voitures qu’on y croise sont conduites par des wazungu, lesquels, comme chacun sait, ne font pas le ramadan.
Il y a quinze ans j’habitais à Bandraboua, un village du nord de l’île et j’ai fait le ramadan. Pendant six jours très exactement. Six jours qui ne compteront pour rien dans mon salut puisque, s’il faut en croire une autorité locale consultée à l’époque, si on ne fait pas tout c’est comme si on faisait rien. Même si on fait tout et qu’on ne fait pas UN jour, c’est comme si on n’avait rien fait. Allah est comme ça parait-il. Miséricordieux mais intransigeant sur le ramadan. Tant pis pour moi.
L’expérience n’aura cependant pas été complètement inutile. Je n’aurai pas fumé pendant six jours, ce qui est déjà ça de pris. Six demi-journées pour être précis puisque dès la tombée du jour j’avais le droit d’en griller autant que je voulais. Ne pas manger était facile. Je me passai même du café du matin et le soir, à la rupture du jeûne, je n’avais pas grand faim. Ne pas boire était plus difficile mais j’évitai de courir, de marcher en plein soleil, de transpirer et c’était supportable. Ne pas fumer était éprouvant. Au point que je suis aujourd’hui persuadé que les fumeurs qui font ramadan se divisent en deux catégories ; ceux qui sont très très forts et ceux qui fument en cachette. J’ai fait le ramadan parce que j’avais envie d’être comme tout le monde dans le village, et j’ai arrêté au bout de six jours parce que je ne voyais plus l’intérêt de faire semblant d’être comme tout le monde. Je ne choquai personne, tout un chacun dans le village s’attendant à quelque chose comme ça puisque, la chose est connue, les wazungu ne sont pas capables de souffrir autant que les vrais croyants, lesquels disposent, avec l’appui du Miséricordieux, de toute la force du monde pour endurer sans se plaindre les privations et la fatigue imposées par leur foi. Sans se plaindre certes, mais pas sans le dire. Le ramadan se fait ET se raconte. « U fungu léo ? » On commence par poser la question ; « tu fais le ramadan aujourd’hui ? » Si vous êtes mzungu et que vous répondiez oui personne ne vous croit. Si vous répondez non on vous demandera alors pourquoi. Toutes les réponses sont alors possibles mais aucune ne les fera rire. Peu d'humour pendant cette période. On a faim, on a soif, on est fatigué, très fatigué, on a mal à la tête, on peut pas regarder les filles, ni les garçons cela va de soi, bref il faut drôlement aimer son Créateur pour endurer pour lui des tourments pareils. Le ramadan c’est la souffrance, la souffrance c’est pas drôle et il faut que ça se sache.
J’ai avec le divin des rapports très simples. Je crois que je crois en Dieu. J’ignore bien sur s’il existe et j’ignore aussi s’il n’existe pas. Ce que je n’ignore pas par contre c’est qu’il existe plus fort que moi. L’Homme ne possède pas la télécommande. Dieu, qui peut tout qui voit tout qui sait tout ne se situe pas dans ce « plus fort que moi » ; ce « plus fort que moi » n’est pas Dieu mais un espace, dans lequel je suis, qui mène à Dieu. Inch’Allah bien évidemment. Dieu ne se laissant ni appréhender ni percevoir on devrait je pense, un peu comme le font les Chinois, se contenter de chercher à nous comprendre nous mêmes et ainsi comprendre les lois qui régissent l’univers, puis de rechercher l’harmonie, c'est-à-dire notre intégration la plus parfaite possible, quasiment « nirvanesque » dans cet univers. Le travail du religieux devrait être de permettre à l’Homme d’accéder à ce qui permet d’accéder à Dieu. Ce qui serait déjà pas mal. Après, si Dieu veut intervenir, ma foi, c’est son affaire. Pas la nôtre. Dieu existait avant l’Islam, le Christianisme, le Judaïsme et toutes les religions du monde, et il existera après toutes ces constructions. On a le droit de parler de Dieu à la condition de savoir qu’on parle ainsi sans savoir. L'humilité est sans doute la toute première manifestation de la foi.
Nos religions en sont loin, mais à la réflexion c’est tout à fait normal puisque ce sont des constructions humaines et, tout comme les humains, il faut qu’elles bavardent. « Au commencement était le Verbe » disent nos Écritures, et à les entendre on pourrait croire que Dieu est le Verbe. Dieu est bien plus que ça. Le Verbe n’a pas fait naître Dieu, mais l’Homme. Les religions sont venues après parce qu’adorer ne suffit pas ; il faut aussi, et surtout apaiser. Surtout lorsqu'on vit en société. Religieux et politique, même combat. L’unicité même de Dieu est pour moi du verbiage. Si Dieu existe Il fait ce qu’Il veut, cela va sans dire. Et s’il Lui plait d’être perçu comme unique Il sera perçu comme unique et s’Il lui plait d’être perçu comme multiple Il sera perçu comme multiple et ça sert à quoi de discuter ?


Ramadan donc. Et que Dieu nous garde.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Votre blog est très intéressant.